Sans soutien moral,sans information ou courrier-la presse est réduite à de vieux numéros du journal"l'humanité"-les prisonniers vont souffrir de cet isolement total,les commissaires politiques leur ressassant qu’après avoir été les valets de l'impérialisme-surtout américain-ils sont abandonnés,sacrifiés.Ce qui était d'autant plus faux que les Dakotas larguaient systématiquement vivres et médicaments;mais ces "douceurs" étaient récupérées et réservées aux combattants viets de première ligne,"avant-garde agissante de la révolution prolétarienne et soldats de l'indépendance",(DOC LAP). Des "déchets sociaux" comme les militaires français ne méritaient pas ce "confort" qui provenait par ailleurs de l'exploitation des prolétaires dans leur pays.
La sueur des prolétaires devait revenir aux prolétaires viets (solidarité due à la conscience de classe).
Placés dans cette misère morale et physique ,certains prisonniers responsables ont été souvent victimes de ce que l'on appelle l'IMPRECATION ou comme le signale PASCALINI,(dix ans prisonnier chez Mao) l'EPREUVE.
Le prisonnier mis au ban de l'humanité,criminel de guerre,est livré à l'imprécation des paysans, des soldats(insultes,crachats,griffures,coups....),cela souvent pendant des heures.S'il ne s'agit pas là d'une torture au sens moderne du mot,c'est une épreuve très dure à supporter.On en sort brisé,au bord de la mauvaise conscience,avec un sentiment de honte et de culpabilité.
Pour ma part,abandonné sur la route parce que blessé aux jambes,j'ai vécu cette épreuve attaché sur une jeep,déplacé de village thaï en village thaï,parce que j'avais été officier de renseignement et officier de transmissions.Ces deux missions,ainsi que celle d'aumônier,bénéficiaient d'un "régime de faveur"(si l'on peur dire!),chez les viets.Cette fixation de la haine collective ,attisée par des slogans,les imprécations des politiques contre un seul homme,exposé,attaché,reste pour moi l'une des épreuves les plus dures que j'ai subies.C'est l'excitation de la populace contre le bouc émissaire incarnant le colonialisme et l'impérialisme.Ce sapement du moral et de la santé,grâce à l'absence de médicaments et à la fatigue ajoutée à une faim permanente,va créer un homme à plat,doutant de tout,isolé,mûr pour capter tous les signaux de la propagande permanente.
III - LA CONVERSION
La conversion a pour but du lutter ,contre le vieil homme(bourgeois impérialiste et colonialiste) afin de chercher à créer un" homme nouveau"(progressiste socialiste). Après avoir imposé la malléabilité nécessaire(morale et physique),les commissaires politiques vont entamer l'endoctrinement.On les a appelés les "Ingénieurs des Âmes". Il est exacte qu'après l'installation de la culpabilisation,ils font appel à une dialectique qui parait rudimentaire simpliste,mais qui,accompagné de privation de nourriture ou du manque de médicaments,a de redoutables résultats sur les esprits déficients.
Bien sûr,les prisonniers vont jouer une sinistre comédie s'adaptant aux exigences de la dialectique progressiste,mais la subtilité,la lenteur,la répétition des slogans vont confirmer certains résultats de la méthode de PAVLOV.Tout cela sur un fond d'angoisse latente,conséquence de leur peur de la maladie,et d'espérance,bien souvent déçue,d'une libération plus que problématique (en fait un véritable chantage). Libération qui est"l'aboutissement des progrès prouvés des prisonniers convertis". Ainsi impose-t-on:la rédaction de "biographies",contrôlés en France par les agents du Parti Communiste;la signature de manifestes lors des diverses "campagnes" aux buts très variés.
L'autocritique est systématique,soit pour les fautes du passé(campagne sur les "atrocités" du Corps Expéditionnaire Français,etc....) soit pour les erreurs du présent(manque d'esprit socialiste,réflexe de l'ancienne classe etc....).
Et puis,mais dans le plus grand secret,est entretenue une délation permanente des fautes des camarades qui, obligatoirement, en commettent et qu'il faut dénoncer lors des meetings d'accusation réciproque.
Raffinement suprême,le prisonnier est inclus dans un groupe appelé souvent "collectif de progrès".Il est partie intégrante du groupe,dont il est responsable quant au progrès dialectique.Le commissaire politique,par exemple,exige la totalité des signatures des membres du groupe,et il maintient ses pressions(réduction des rations alimentaires, suppression des quelques médicaments tels que Nivaquine ou Emétine,etc....), tant qu'il n'a pas obtenu satisfaction.
Au début,certains dans le groupe refusent de signer;mais ils subissent des pressions de ceux qui ont été volontaires pour signer.Ils vont donc se retrouver isolés,en butte aux brimades de leurs camarades et,à la fin,incapables de subir la mise en quarantaine,ils accepteront de signer.
Certains font sourire qui affirment:"moi,je n'aurais pas signé,moi je... ,moi je..."Il n'y a pas d'individualités,pas de héros,il n'y a que de pauvres hommes noyés dans un groupe,groupe qui va les manipuler pour que l'ensemble survive.Cette auto-manipulation est une réussite originale des commissaires politiques.L'individu responsable de ses progrès devant le groupe sera astreint aux auto-critiques pour que l'ensemble du "collectif" progresse lui-même.
Récitations des biographies,études des "bilans de vie" dans une ambiance de délation permanente avec une angoisse astucieusement entretenue ainsi que le complexe de culpabilité.Donc érosion des personnalités,délabrement du "MOI" par des méthodes collectives,par des applications subtiles où le temps ne compte pas pour les Asiatiques.Seuls les buts sont retenus,peu importent les moyens et les délais.
S'il veut la paix ou s'il veut espérer une libération future,le prisonnier doit "jouer le jeu" par réflexe acquis,il doit s'intégrer dans l'organisation définie et s'imprégner de l'idéologie dont l'étude n'est jamais terminée.Sinistre comédie jouée par des pantins qui ne pensent qu'à survivre ,car plus on est affaibli plus on s'accroche à la vie ou à ce qui en reste.Par crainte de la délation,il ne se confiera jamais,même à un camarade;c'est cette solitude morale,même dans un groupe,qui demeure un véritable supplice.Beaucoup n'ont pu y résister et se sont laissés mourir,se liquidant eux-mêmes,étant allergiques à cette société.
Signalons que lorsque l'on est fait prisonnier,on est averti que l'évasion n'est pas un devoir mais un crime,une honte,car on ose ainsi déserter le camp socialiste,le paradis rouge progressiste.Un suicidaire est donc aussi considéré comme un déserteur puisqu'il quitte volontairement la cité radieuse du socialisme en marche!Délit impardonnable.
CONCLUSION
Ce système carcéral,considéré comme l'instrument de la rédemption,de la conversion des prisonniers,est totalement différent des systèmes occidentaux qui visent soit à la neutralisation soit à la liquidation(nazis) des captifs.En pays communiste asiatique,le prisonnier n'est pas neutralisé:il doit devenir,après conversion,un agent actif de l'anti-impérialisme et de l'anti-colonialisme(otage actif). Dans les cas extrêmes,il doit avouer qu'il ne mérite pas la balle qui va l'abattre.Parasite,il ne vaut pas cette cartouche.
Actif ou liquidé,il doit être un agent utile à la propagande du Parti afin d'assurer la victoire de ce dernier.Ce système de maniement humain est peu connu,car les prisonniers libérés étaient avertis que leur comportement après leur libération conditionnait les futures libérations de leurs camarades restés captifs.
Se sentant comptable de cet avenir des camarades,ceux qui étaient libérés demeuraient fort évasifs sur leur condition de détention de captif.Peu nombreux étaient ceux qui avaient compris totalement la méthode et les procédés dont ils avaient été victimes.
Ce système n'est pas surprenant dans le contexte de la guerre révolutionnaire.En effet,cette forme de conflit englobe tous les comportements des activités humaines:cette guerre est une guerre totale.
source
soldatsdefrance.fr