Soldats du Feu, Soldats du Front
Depuis sa création le 18 septembre 1811, le corps des sapeurs-pompiers de Paris est une institution militaire. Formé comme tout soldat à l’usage des armes, le sapeur-pompier ne fait pas exception lorsqu’il s’agit de défendre le territoire national.
Une grande partie d’entre eux vont se porter volontaires en 1914 pour participer aux combats.
La mobilisation générale du 1er août 1914 provoque notamment la fermeture des théâtres parisiens, dans lesquels sont envoyés quotidiennement 400 sapeurs-pompiers pour assurer des gardes lors des représentations. Cette situation permet de rendre la charge opérationnelle moins lourde. C’est en partie ce qui amène le lieutenant-colonel Cordier , commandant le Régiment, à proposer le 10 août au ministre de la Guerre, la constitution d’un bataillon de marche. Comptant 800 hommes, cette formation doit contribuer à la défense armée du territoire. Mais pour conserver toutes les forces à sa disposition, le gouverneur militaire de Paris refuse cette proposition.
Néanmoins, le 14 août, il affecte huit détachements de 100 hommes au service d’ordre en banlieue, dans des communes telles que Levallois,Saint-Denis ou encore Ivry, créant ainsi les prémices du secteur de la Brigade d’aujourd’hui. Cependant, l’émotion collective et le patriotisme s’emparant des Français de manière grandissante, de nombreux sapeurs-pompiers vont affirmer leur souhait de se rendre sur le front. Le préfet de Police de Paris détermine ainsi, le 6 septembre,dans quelles proportions il allait pouvoir satisfaire les demandes de départs volontaires.
Un tiers de l’effectif du Régiment, alors composé de plus de 2 100 hommes, est donc mis à disposition pour rejoindre les unités combattantes par vagues successives.
Apprendre à combattre
Une compagnie d’entraînement est spécifiquement constituée au sein du Régiment pour instruire les recrues aux techniques de guerre. Dès le mois d’octobre 1914, ce sont 663 sapeurs-pompiers qui sont affectés aux armées. Lamajorité d’entre eux renforcera les troupes de l’infanterie, qui est alors l’arme de rattachement du Régiment. D’autres seront détachés au génie, à l’artillerie ou dans l’aviation. Cette nouvelle arme attire beaucoup de jeunes sapeurs-pompiers, notamment en raison des nombreuses bases aériennes à proximité de Paris. Pour ceux intégrés dans les autres armes, leurs missions seront de mener le combat contre l’ennemi, au même titre que les autres « poilus ». Jusqu’en 1918, ce sont finalement 1 221 sapeurs-pompiers de Paris, soit la moitié de l’effectif du Régiment, qui se succèdent dans les tranchées. 236 d’entre eux perdront la vie au combat.
Instruction des volontaires étrangers
Au tout début de la guerre en août 1914, plusieurs centaines d’étrangers vivant en France témoignent de leur désir de combattre dans les rangs de l’armée française. Le 31 août, sur demande du gouverneur militaire de Paris, le Régiment fournit des sapeurspompierspour assurer leur instruction et ce, avant leur incorporation. 3 000 volontaires étrangers sont alors formés au sein de lacaserne de Reuilly. Les officiers sapeurs-pompiers de Paris partiront avec les compagnies à qui ils apprennent le métier de soldat. Ainsi, une centaine d’hommes du Régiment quittent Paris le 28 novembre pour intégrer le 2e régiment de marche de la Légion étrangère. Après15 jours d’entraînement dans la Somme, ils gagnent les tranchées pour un long combat.
Les compagnies lance-flammes
Parmi les sapeurs-pompiers de Paris envoyés au front, plusieurs centaines d’entre eux vont former des compagnies « à part », dont la mission est à l’opposé de leur métier initial. Ils sont employés pour jeter des liquides enflammés sur leurs opposants, ripostant ainsi à l’invention diabolique de l’ennemi. Après le feu grégeois du Viie siècle, les Allemands sont les premiers à utiliser des lance-flammes au sens moderne du terme. Le flammenwerfer est testé pendant de longues années, puis adopté en 1911 par l’armée allemande.Pourtant, le dispositif n’apparaît au coeur des combats de la Première Guerre mondiale qu’en octobre 1914, à côté de Verdun contre les Français. Outre un fort vent de panique dans les troupes, aucun blessé n’est à déplorer. Toutefois, le Grand quartier général (GQG)* français est conscient qu’il faut riposter. Il revient alors aux sapeurs-pompiers de Paris, « soldats du feu », d’effectuer des recherches et des essais pour mettre au point le même type d’appareil. La connaissance de ces militaires en matière de produits inflammables, de propagation d’incendie et de leurs conséquences est mise en avant pour leur imposer cette mission. Le capitaine Victor Schilt, alors chef du servicetechnique du Régiment, est nommé responsable des études de matériels.
Premiers essais et évolution d’une machine barbare
Au printemps 1915, les appareils « Schilt n° 1 » voient le jour. Ce sont des dispositifs statiques qui permettent d’incendier les tranchées ennemies à distance, au moyen d’un liquide inflammable. Celui-ci est propulsé grâce à lamise en pression d’un gaz comprimé, avant de s’échapper en jet par une lance incendie. L’inflammation du liquide est provoquée par l’explosion d’une grenade incendiaire. Le procédé est complexe, encombrant et lourd (165 kg).La nécessité de disposer d’un matériel portable à dos d’homme s’impose rapidement, car il convient surtout de vider les tranchées et les abris ennemis,tout en brûlant leurs occupants. L’équipement évolue donc en peu de temps.Enjuillet de la même année, un modèle portable apparaît. La nouveauté réside en un maniement beaucoup plus aisé à un seul personnel, avec une charge de 23 kilogrammes et un réservoir de 16 litres de liquide enflammé.En janvier 1917,la solution d’un allumage automatique, en abandonnant les grenades, est trouvée. L’appareil portatif n° 3 est alors modifié et légèrement alourdi (30 kg), mais permet désormais aux sapeurs d’envoyer des jets enflammés instantanés, gagnant ainsi en réactivité. La dernière année du conflit voit l’introduction de quatre nouveaux lance-flammes : deux statiques projetant jusqu’à 60 mètres et deux portatifs (P3, P4) qui constituent l’aboutissement des recherches françaises en la matière.
Les unités spéciales au front
Dans l’Instruction relative à l’utilisation des compagnies Schilt publiée en 1916,la consigne est claire :« Les appareils lance-flammes agissent non seulement par les brûlures qu’ils produisent, mais aussi par leur effet moral qui se traduit souvent par la capture de nombreux prisonniers.(…) Le rôle normal des lance-flammes est le nettoyage et la réduction des résistances ». Il faut donc préparer les sapeurs-pompiers de Paris à cette mission, aux antipodes de leur quotidien.
Le Régiment est chargé de constituer des compagnies spécialisées et d’instruire le personnel destiné à employer ces appareils. Un dépôt est d’abord installé à la caserne de Ménilmontant (avant de rejoindre Versailles en 1917, puis Mourmelon l’année suivante), où les sept unités créées passeront entre les mains de l’inspecteur Schilt.
L’appellation de ces unités est au départ hasardeuse. On évoque même « les sapeurs pétroleurs », avant que ce terme ne soit proscrit. Finalement, le 10 septembre 1917, le GQG impose la dénomination générique de « compagnies lance-flammes », composées de 137 personnels chacune. Hostile aux « unités spéciales » et au caractère particulier qui les anime, le général Pétain, chef d’état-major général, étend l’emploi de ces appareils à l’infanterie. Il crée ainsi la compagnie d’instruction de lance-flammes afin de former à ces engins les sapeurs bombardiers de l’infanterie et des bataillons de chasseurs. Au fur et à mesure, le but est aussi de remplacer certaines unités de sapeurs-pompiers de Paris, usées par les combats.
*Le GQG était une structure de commandement française utilisée à l’occasionde la Première Guerre mondiale. Le GQG a assuré le commandement del’ensemble du corps de bataille français, d’août 1914 à 1919.
Le drame de Vauquois
En trois ans d’activité, les compagnies participent à plusieurs centaines d’engagements sur le front. L’événement le plus marquant, sans être le plus meurtrier, reste la bataille de Vauquois. Le 23 mars 1915, les Allemands arrosent de jets enflammés la première ligne française, l’obligeant à se replier en deuxième ligne et occasionnant quelques brûlures. Cette utilisation du lance-flammes a surpris le camp tricolore qui décide d’utiliser la même arme pour se défendre. Quelques mois plus tard, le 6 juin, à 20 h 10 exactement, l’attaque est lancée. « L’action s’est déroulée d’abord normalement. Le jet (de 16 appareils Schilt, ndlr) atteignit la tranchée ennemie qui s’enflamma et le succès s’annonçait… », témoigne le lieutenant Rapiat, commandant la compagnie 22/6, dans son rapport d’intervention. Une tempête de feu s’abat alors sur les tranchées allemandes, un dépôt de munitions explose, la terreur se propage. Mais le vent tourne et refoule les flammes sur les lignes françaises. Tout brûle, de nombreux pompiers et fantassins se sauvent, transformés en torches vivantes. Cette première expérimentation française du lance-flammes est un échec et les pertes sont importantes : 69 tués dont 5 sapeurs-pompiers, 107 blessés dont 15 membres du Corps grièvement brûlés. Le drapeau de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris porte depuis la mention « Vauquois », en hommage aux morts pour la France lors de cette bataille. Essai de projection de liquides enflammés au bord d'une voie ferrée dans la Meuse. Il s'agit là des premiers modèles d'appareils Schilt, non portatifs.
Source
pompiersparis.fr