La Grande Guerre a connu de nombreux hauts-faits individuels, mais la plupart ont été éclipsés par ceux du second conflit mondial.
Durant les quatre années de guerre, les exploits sont plus collectifs qu’individuels dans la mémoire collective ; pourtant, de nombreux soldats des deux camps se sont couverts
de gloire. Certains ont eu une destinée mouvementée une vingtaine d’années plus tard - comme Joseph Darnand, héros de la Grande Guerre mais collaborateur notoire
avec le régime de Vichy - alors que d’autres restent dans l’ombre.
Tel est le cas d’Albert Séverin Roche, pourtant surnommé par le maréchal Foch le « premier soldat de France ».
L’histoire de Roche est semblable à tant d’autres.
Il naît le 5 mars 1895 à Réauville, dans la Drôme, dans une famille nombreuse de cultivateurs. Dans cette France encore très rurale, sa destinée est toute tracée :
il travaillera en tant que cultivateur dans l’exploitation familiale. Mais lorsque le tocsin sonne à l’été 1914, Albert Séverin Roche est porté par l’optimisme ambiant
et se présente comme volontaire à l’âge de 19 ans.
Cependant, ce jeune homme qui mesure 1m58 est jugé trop chétif par le conseil de révision, ce qui entraîne son renvoi dans son foyer… au grand plaisir de son père.
L’homme sait que son fils peut perdre la vie à la guerre, et il préfère le voir travailler à l’abri à la ferme qu’affronter les balles allemandes.
L’idée de s’engager ne quitte pas Albert Séverin Roche, qui décide un soir de faire son sac et de fuir le foyer familial.
Il se présente au 30e bataillon de chasseurs à Grenoble, où il est finalement jugé apte au service, mais les premières semaines d’entraînement se passent plutôt mal.
La sévérité de la vie en caserne n’est pas pour lui, et il ne brille pas particulièrement durant les exercices… sous-noté, Roche ne trouve pas l’épanouissement qu’il cherchait
alors en s’engageant.
Alors que la guerre a éclaté depuis quelques mois, Albert Séverin Roche n’est toujours pas au front. Il décide de déserter et de se laisser attraper sciemment…
car selon lui, les déserteurs sont invariablement envoyés au front comme punition. Devant l’officier qui lui demande les raisons de sa désertion, il tient ce discours :
« Les mauvais soldats, on les expédie là-haut (NLDR : au front), et moi je veux aller où l’on se bat. »
La montée au front
Il obtient alors gain de cause en étant muté au 27e bataillon de chasseurs alpins, combattant dans les Vosges et surnommés les « diables bleus » par les Allemands
à cause de leur pugnacité au combat dans leurs uniformes bleu nuit.
Roche a maintenant l’occasion de faire ses preuves dans une unité d’élite ; un soir d’été 1915, un capitaine se présente dans sa section et demande 15 volontaires
pour aller réduire un nid de mitrailleuses ennemi. Albert Séverin Roche, toujours 2e classe, se lève et se porte volontaire…
en demandant d’y aller avec seulement deux camarades. Après un instant d’hésitation, le capitaine accepte, et Roche sort de la tranchée silencieusement.
L’homme a déjà préparé mentalement son attaque… et il cherche à profiter de l’effet de surprise.
La nuit est tombée depuis quelques temps quand Roche, armé d’un revolver et de quelques grenades, s’approche de la tranchée allemande.
Les sentinelles ne repèrent pas le petit groupe qui se déplace sans bruit ; seul un léger conduit de petit chauffage à bois se décroche au-dessus d’un abri allemand.
Roche s’en approche et aperçoit la plupart des mitrailleurs qui se reposent à côté pour profiter de la chaleur. Il dégoupille alors quelques grenades qu’il jette dans le conduit du poêle. Les détonations sont amplifiées par la nature métallique de l’objet ; les servants rassemblés devant sont tués, et les autres, totalement surpris, jettent leurs armes,
croyant être attaqués par une force puissante au milieu de la nuit.
Placidement, Roche descend dans la tranchée, fait aligner les huit soldats allemands et leur intime de prendre la direction de la ligne française... en récupérant les mitrailleuses
au passage.
Les gars du 27e BCA en juillet 1915- Albert est a droite
Mais ce genre d’actions n’est pas isolée pour Roche : il est coutumier du fait. Parfois, ses gradés lui laissant certaines latitudes d’action, le soldat disparaît quelques heures
dans la nuit pour revenir avec des prisonniers abasourdis.
Toutes ces actions lui valent bientôt les honneurs, et il reçoit, entre autres décorations, la distinction de soldat de 1ère classe le 15 octobre 1915.
À la fin de l’année 1915, alors que le front dans les Vosges est relativement stable, il échappe miraculeusement à l’artillerie allemande qui dévaste sa tranchée.
Roche sait que les Allemands vont s’élancer à l’attaque, et il décide illico de placer les fusils de ses camarades tombés sur le parapet et les actionne tous, tour à tour,
suffisamment rapidement pour que les assaillants se replient… pensant que les Français n’ont pas été tués par le feu roulant !