"C'était ma maison": ils veulent sauver l’ancien porte-avions Foch d'un démantèlement
Vingt ans après l’avoir acheté à la France, le Brésil envisage de démanteler l’actuel São Paulo.
Passionnés et anciens marins se mobilisent pour tenter de lui donner une seconde vie.
"On ne se sépare pas d’un enfant tel que le Foch sans une fêlure au cœur."
Prononcée à Toulon le 2 novembre 2000 par Jean Moulin, alors Amiral commandant la Force d’action navale (ALFAN), cette phrase est finalement toujours d’actualité.
Le « São Paulo » ex-Foch
Propriétaire du porte-avions depuis vingt ans, la Marine brésilienne envisage aujourd’hui de démanteler celui qui avait été rebaptisé São Paulo à son départ outre-Atlantique.
Une disparition pure et simple à laquelle ne peuvent se résoudre une poignée d’anciens militaires des deux côtés de l’océan.
C’est un dénommé Emerson Miura qui mène le combat au pays de Jair Bolsonaro, via son Instituto São Paulo/Foch.
Cet ancien de l’Air force brésilienne porte un projet sérieux de reconversion du navire en musée naval qui serait financé par des fonds privés.
En France, les Anciens du porte-avions Foch (APAF) soutiennent vivement cette initiative, qui rappelle celle existante à Nantes, où un quai accueille l’escorteur d’escadre Maillé Brezé.
L’association tente, tant bien que mal, de trouver quelques appuis haut placés. Emmanuel Macron, lui-même, vient de recevoir un courrier le sensibilisant aux écueils
d’une déconstruction express.
"On ne veut surtout pas d’un deuxième Clemenceau, avec un voyage à la va-vite en Inde et des pauvres gens qui risqueraient d’en prendre plein les poumons", s’agace Daniel Malerba,
ex- "bouchon gras" sur le Foch.
Pour rappel, il avait fallu dix ans et d’incroyables péripéties pour que les 24 000 tonnes d’acier du Clem, bateau-jumeau du Foch, soient finalement déconstruites
dans les règles de l’art en 2009, du côté de l’Angleterre.
Car les premiers porte-avions made in France, prédécesseurs du Charles-de-Gaulle, sont certes racés mais ont contre eux d’avoir la carcasse bourrée d’amiante.
L’aspect écologique est d’ailleurs l’un des angles d’attaque d’Emerson Miura dans ce dossier.
En mobilisant des organisations environnementales, il aurait réussi à saborder une première vente aux enchères du navire aux ferrailleurs.
Reste à savoir si l’État brésilien peut encore faire machine arrière.
Celui-ci, lassé par un bateau armé en 1963 qui faisait de plus en plus son âge, semble déterminer à se débarrasser au plus vite de la bête de 261 mètres de long.
Oubliés les états de service brillants de l’ancien fleuron de la Marine nationale basé durant 24 ans à Toulon.
Oubliée l’opération Trident où, depuis son pont d’envol, ses Super-étendards avaient frappé 490 fois l’ex-Yougoslavie pour protéger le Kosovo.
Oubliés encore les 1,8 million de kilomètres parcourus, l’équivalent de 46 tours du monde!
"Nous, on n’oublie pas, enrage le toulonnais Romain Veyrié, ancien du Foch. Tant que le premier coup de chalumeau n’a pas été donné, on ne lâchera rien."
Il dit avoir eu le déclic après avoir pu visiter un navire de la marine brésilienne du côté de Rio. Emerson Miura, ancien de l’armée de l’air auriverde,
s’est lancé en 2018 dans l’entreprise un peu folle d’éviter le démantèlement du porte-avions São Paulo.
"Avec notre institut São Paulo/Foch, notre objectif n’est pas juste de sauver le navire, mais bien d’en faire un projet viable économiquement, explique-t-il à Var-matin.
Il s’agirait d’un musée - porte-avions, comme il en existe six aux États-Unis, générateur de recettes et créateur d’emplois. Bien mieux qu’une vente du navire à un prix symbolique."
À l’intérieur du bâtiment, si l’on en croit les plans détaillés que nous avons pu consulter, on retrouverait aussi un hôtel, un restaurant, une salle d’exposition…
et "un espace qui raconterait la participation importante de la France dans la formation des pilotes de chasse brésiliens."
Le tout, évidemment, une fois l’ex-Foch désarmé et dépollué.
Car parmi ses motivations, ce passionné d’histoire de 49 ans révèle qu’il a été marqué par la fin du Minas Gerais, un vieux porte-avions brésilien qui a fini en 2004
dans le cimetière de bateaux d’Alang, en Inde.
"Ce projet contrebalancerait également l’histoire troublée du São Paulo depuis son arrivée au Brésil", assure-t-il.
Si les autorités brésiliennes lui ont d’abord prêté une oreille attentive, le contact semble aujourd’hui plus compliqué.
Désormais, il réclame le droit de participer aux ventes aux enchères organisées par la Marinha auprès des ferrailleurs.
Histoire d’espérer racheter, grâce à des fonds privés, le rêve de sa vie.
"Une mission pour l’honneur", soupire Emerson Miura.
Aujourd’hui chauffeur du Réseau Mistral, Romain Veyrié fut affecté comme photographe sur le Foch de 1999 à 2000, sa dernière année française.
Et il en garde un merveilleux souvenir.
"J’avais 29 ans, se rappelle-t-il. L’ambiance était exceptionnelle. En 18 années de carrière dans la Marine, je n’ai jamais retrouvé ça ailleurs." Celui qui se dit "nostalgique"
se souvient de la mission au Kosovo comme la période la plus intense, où tout le monde, "du bosco au commandant", était mu "par une seule chose:
que les avions puissent partir et délivrer leur armement."
Aujourd’hui, il souhaite que le Foch parvienne à éviter la casse.
"À l’époque, déjà, la vente au Brésil m’avait chagriné. Le bateau avait un tel potentiel… Ne pas réussir à le sauver serait terrible :
si l’équipage était ma famille, le Foch était ma maison."
source
varmatin.com