Lorsque la France entre en guerre début septembre 1939, Charles Trenet est une immense vedette. Mobilisé le temps de la Drôle de guerre, il participe à la création des spectacles aux armées ou « théâtre des Ailes » avant de devenir la vedette de la troupe « Ceux de l'escadrille », qui part pour une tournée des bases aériennes.
Démobilisé en août 1940, il ne rejoint Paris qu'au début de 1941, pour ses « seconds débuts », au Théâtre de l'Avenue. Dès lors, on le retrouve à l'affiche des plus grands music-halls de la capitale, puis sur les écrans avec Romance de Paris, Frédérica, Adieu Léonard et La Cavalcade des heures (aucun de ces films n'étant tourné pour la société de production Continental-Films, créée par Goebbels).
Enfin, Charles Trenet continue de composer et d'enregistrer des chansons, qui offrent à ses spectateurs une dose d'espoir vital. Au delà de l'implicite dans les textes, le fait d'interpréter des rythmes swing ou avec l'accompagnement d'un orchestre de jazz constitue une franche provocation vis à vis des autorités.
La presse d'extrême-droite se déchaîne sur lui.
La comédienne Corinne Luchaire, qui le fréquente à l'époque, témoigne de la gravité de la situation : « alors que Charles Trenet ignorait l'occupant, (…) on assura qu'il était juif, qu'il ne s'appelait point Trenet, mais qu'il s'agissait en réalité de l'anagramme de Netter. Bref, on voulait l'empêcher de travailler ».
Cambriolé et blessé à son domicile de La Varenne le 15 juin 1944, il prépare une exposition de ses peintures puis sa rentrée, avant d'être appelé à comparaître devant le Comité d'épuration.
LES FAITS REPROCHES
Convoqué à huit reprises, dès le 9 novembre 1944, Charles Trenet ne se présente pas. Le 3 août 1945, le Comité national d'épuration des professions d'artiste dramatique, lyrique et de musicien exécutant ordonne une suspension de toute activité professionnelle de dix mois. Lorsqu'il en est averti, l'artiste sort de sa réserve et sollicite une audience. Il est entendu le 17 août.
Des renseignements, communiqués verbalement et pris en note, ont abouti à une liste de faits reprochés individuellement qui ne relèvent d'aucune des fautes considérées comme les plus graves :
Trois émissions à Radio-Paris en 1943.
La station, sous le contrôle de l'occupant, a émis cependant depuis 1940 ; elle est connue pour avoir rémunéré très généreusement les artistes.
Participation à cinq galas
Charles Trenet a été absent de deux d'entre eux. Son impresario Maurice Roget jure sur son honneur de soldat « que Monsieur Charles Trenet n'a jamais fait de "collaboration" avec les Allemands et que, s'il a prêté son concours à quatre ou cinq galas, c'est sous la menace de l'envoyer comme travailleur en Allemagne ».
Une tournée dans des camps de prisonniers et d'ouvriers français en Allemagne
Durant l'été 1943, Charles Trenet s'est vu contraint par la Propaganda Staffel de prendre part à une tournée dans les camps de prisonniers et d'ouvriers français en Allemagne occidentale, en compagnie d'Édith Piaf et de Fred Adison. Il a toutefois refusé d'être payé, ce qui lui a permis de se dérober à certaines obligations, et non des moindres.
Le 15 août, il a manqué le départ du train ; on l'a accompagné de force à Berlin où il est arrivé avec deux jours de retard... S'il a participé aux représentations devant les prisonniers et les ouvriers français, il n'est pas descendu dans le même hôtel que la troupe et a brillé par son absence aux réceptions officielles des artistes. Durant les quarante-cinq jours de la tournée puis à son retour en France, il s'est abstenu de toute déclaration, ce qui est pertinent quand on sait que le Comité d'épuration va juger que c'est prioritairement l'exploitation qu'en ont fait les services de propagande qui a conféré un caractère collaborationniste à ces voyages en Allemagne.
L'annonce de sa mort dans un accident d'avion
Charles Trenet est apparemment décédé à plusieurs reprises pendant la guerre ! Le Comité d'épuration le soupçonne d'être l'instigateur de l'une de ces annonces, afin d'assurer sa publicité pendant sa mobilisation... Ce qui est absolument fantaisiste, l'intéressé ayant démenti à plusieurs reprises.
Ses « fiançailles » avec la comédienne Corinne Luchaire…
…dont le père, Jean Luchaire, personnage incontournable de la presse collaborationniste, va être condamné à mort pour intelligence avec l'ennemi.