Les petits animaux des tranchees :
Le pou :
Pediculus humanus corporis est le nom savant du parasite qui a transformé le séjour des poilus dans les tranchées en un véritable enfer.
Les soldats parlent plus volontiers de “Totos” pour désigner ce fléau.
Le pullulement parasitaire des premières lignes s'explique par l'accumulation de paille souillée et de détritus de nourriture, l'absence d'eau et la promiscuité des abris.
Plus que le pou de tête, qu’un rasage total du crâne suffit à faire disparaître, c'est le pou de corps qui sévit dans les tranchées.
Ce dernier vit dans les plis des vêtements et, grâce à la température corporelle constante de l'homme, se reproduit à une vitesse stupéfiante.
Proies faciles puisqu'ils ne peuvent sauter, échanger leurs vêtements dans les tranchées les soldats doivent supporter de fortes démangeaisons,
des accès de fièvre (« fièvre à poux » appelée aussi « fièvre des tranchées ») et parfois des maladies de peau.
Depuis la découverte en 1909, du rôle exclusif du pou dans l'inoculation et la transmission du typhus exanthématique, la crainte des services de santé est celle d'une épidémie.
Elle ne se produit pas, sans doute en raison des mesures prophylactiques mises en place dans les cantonnements de l'arrière ; stérilisation et étuvage des effets militaires,
emploi de substances parasiticides (benzine et anisole) ou diverses fumigations (acide sulfureux).
Des procédés médiocrement efficaces que le fameux “système D” des poilus venait parfois compléter : fumée de tabac, utilisation de fourmis comme prédateur des poux.
Torture physique, le pou représente aussi une souffrance morale pour le soldat souvent réduit à d’humiliantes séances d'épouillage, comme les mendiants,
les prisonniers et autres marginaux avant guerre ; il n'est pas difficile d'imaginer les affres d'un soldat infesté de poux quelques jours avant sa permission.
La chasse aux totos est un thème récurrent sur les cartes postales de la Grande Guerre.
Pour les Français, le Toto est assimilé aux Boches, terme familier pour désigner les Allemands, « on le chasse et on l’écrase… ».
Dans les tranchées, les hommes sont contraints à cohabiter avec d’innombrables bestioles qui nuisent à la santé et au moral des troupes.
Les poux et les puces, qui pullulent par manque d’hygiène, provoquent d’insupportables démangeaisons et irritations de la peau.
Les mouches se rassemblent en masse autour des cadavres, tandis que les moustiques, qui se reproduisent en milieu humide, se multiplient dans la zone inondée de l’Yser
et attaquent les soldats pour se nourrir du sang humain.
À l’ère de l’hygiénisme, combattre devient synonyme de déchéance.
Pages de la main coupée de Blaise Cendrars
Les poux. (extrait de La Main coupée, oeuvre autobiographique de Blaise Cendrars.
En août 1914, un jeune poète suisse qui réside à Paris s’engage comme volontaire dans l’armée française. Bientôt reversé dans la Légion étrangère,
Blaise Cendrars (1887-1961) combat sur le front de Somme puis il prend part à la grande offensive de Champagne.
Grièvement blessé le 28 septembre 1915, à l’assaut des tranchées allemandes, il est amputé de son bras droit de combattant et d'écrivain.
Il sera désormais le manchot des lettres françaises.
La Main coupée est un monument aux morts de la Grande Guerre, comme ceux sur lesquels on a inscrit, année par année, les noms des disparus,
morts identifiés mais morts obscurs, sans gloire.
Blaise Cendrars a prélevé dans sa mémoire les bribes de la vie et de la mort de ses compagnons de combat, des hommes ordinaires, tragiques ou cocasses,
échappant à toute vision héroïque ou édifiante.