La thèse chinoise et nord-coréenne fut reprise en 1998 par deux historiens canadiens, Stephen Endicott et Edward Hagerman, professeurs à l'Université York (Toronto)
et auteurs de The United States and Biological Warfare. Secrets from the Early Cold War and Korea (Indiana University Press, Bloomington et Indianapolis, 1998),
puis de nouveau dans un article publié dans la collection Manières de voir du Monde diplomatique (août-septembre 2003).
Dans cet article, Endicott et Hagerman disent s'être appuyés sur des archives américaines « dévoilées parcimonieusement » (cf. plus bas le commentaire du professeur Ed Regis)
et sur des documents provenant des archives gouvernementales et militaires de Pékin.
Ils citent par ailleurs un extrait d’une lettre du 12 avril 1977 envoyée à Endicott par John Burton, chef démissionnaire du département australien des Affaires étrangères en 1952
et membre de la International Scientific Commission ayant examiné le « matériel » bactériologique fourni par les Chinois (cf. plus haut le rapport de Razouvaïev à Beria).
« Je suis allé en Chine en 1952, écrit John Burton, pour évaluer les affirmations sur la guerre bactériologique.
Sans détailler les preuves, je suis revenu convaincu que les officiels chinois croyaient que celles-ci étaient concluantes.
À mon retour, Alan Watt, mon successeur comme chef du département australien des affaires étrangères, m'a informé que, à la lumière de mes déclarations,
il avait cherché des réponses à Washington et qu'il avait été informé que les Américains avaient utilisé des armes biologiques en Corée, mais uniquement à titre expérimental. »
Les documents d'archives américains et les témoignages recueillis par les professeurs Endicott et Hagerman font état d'un programme complet d'armes biologiques :
« bombes à plumes », porteuses de spores du charbon céréalier, aérosols provoquant l'infection des voies respiratoires, « insectes vecteurs » pouvant diffuser le choléra,
la dysenterie, la typhoïde et le botulisme.
Ces armes devaient être opérationnelles pour le 1er juillet 1954, « avec des capacités […] susceptibles d’être mises en œuvre dès le mois de mars 1952 ».
« Est-ce que les Américains se sont livrés en Corée à des expériences destinées à tester l’efficacité de ces armes ? » se demandent MM. Endicott et Hagerman.
La réponse est positive, disent-ils, « selon des documents conservés dans les archives gouvernementales et militaires chinoises » et selon le rapport d’un expert canadien
qui concluait que, « malgré quelques anomalies, les indices chinois étaient fiables. »
MM. Endicott et Hagerman admettent cependant que « parmi les réfutations les mieux connues » des accusations chinoises et nord-coréennes figure
« un rapport rédigé par trois savants canadiens à la demande du gouvernement américain. »
Dans un article paru le 27 juin 1999 dans le New York Times, Ed Regis, professeur à la Rutgers University et auteur de The Biology of Doom:
The History of America's Secret Germ Warfare Project (New York: Henry Holt and Company, 1999), souligne que, dans leurs travaux, Endicott et Hagerman
reconnaissent implicitement que vingt années de recherches ne leur ont pas permis de découvrir un seul document d’archives américain qui prouverait une utilisation quelconque
de l'arme bactériologique en Corée et en Chine.
Ils acceptent les documents de circonstance fournis par les Chinois et les Nord-Coréens sans la moindre analyse quant à leur fiabilité, dit le professeur Regis,
alors qu'on sait pertinemment que les Chinois et les Nord-Coréens réécrivaient l’histoire dans un but propagandiste, et qu’ils avaient les moyens, les motifs
et l’occasion de forger des preuves.
Par conséquent, conclut-il, l’allégation extrêmement contestable d’Endicott/Hagerman (« their extraordinary dubious claim ») équivaut en fait à une disculpation de l’accusé.
Des historiens ou philosophes ont assuré que la guerre bactériologique américaine n'a jamais existé et qu'elle a été montée de toutes pièces par le journaliste
australien Wilfred Burchett, qui était un agent d'influence travaillant pour le compte de l'URSS (voir la maîtrise d'histoire de Bertrand Maricot, sous la direction de J.-F. Sirinelli
et I. Yannakakis, La guerre bactériologique en Corée et les intellectuels français, Lille 3, 199 pages, 1993).
Le journaliste français Pierre Daix a démontré dès 1976, dans son ouvrage J'ai cru au matin, comment l'Australien avait construit cette affaire.
Peut-être même d'après Ivan Cadeau qui donne raison à la thèse d'un montage communiste, des prisonniers de guerre américains ont-ils été torturés par les Sino-Coréens
pour les obliger à avouer le forfait.
Malgré tout Ivan Cadeau relève que « la défense américaine est mise à mal par la position ambigüe des États-Unis sur la question des armes bactériologiques »
et que « Leur refus de signer les protocoles de Genève du 17 juin 1925 interdisant l'emploi des gaz et autres armes chimiques et bactériologiques fournit un prétexte commode
aux communistes en même temps qu'il est de nature à entretenir le soupçon chez certains de leurs alliés ».
En 1950 le secrétaire de la Défense Louis Arthur Johnson reconnaît que les États-Unis mènent des recherches sur les armes bactériologiques ;
le 31 octobre 1951 le général MacAuliffe déclare que « l'emploi de l'arme bactérienne constitue une manœuvre idéale, car on peut l'utiliser sans que cela se remarque ».
D'autres officiels et militaires américains avaient affirmé « que cette arme a la particularité de ne s'attaquer "qu'aux" (sic) vies humaines, épargnant les infrastructures ».
Et autre fait qui nuance la version du montage communiste délibéré, les Sino-Coréens et leurs alliés exploitaient les complicités américaines d'après-guerre
avec les criminels de guerre de l'Unité 731 de l'armée impériale japonaise et de son chef, qui procédèrent à des essais bactériologiques en 1939 contre les troupes soviétiques,
puis à la fin de la guerre contre les populations chinoises.
source
umsl.edu