L’honnêteté (l’article du 21 août 2019 est réservé aux abonnés) nous oblige à reprendre quelques morceaux seulement de la longue et surprenante interview
que le général von Choltitz a accordée au Figaro de l’époque, cinq ans seulement après les faits, ou les non-faits :
Paris n’a pas été détruit par le commandant militaire allemand, malgré les ordres formels du Führer. Car Choltitz était quand même l’homme de la destruction de Rotterdam
et de Sébastopol, notamment avec des batteries de canons gigantesques.
« Il faut se replonger dans le contexte de la guerre froide : l’idée est de réintroduire l’Allemagne de l’Ouest sur la scène internationale.
La nation allemande est considérée comme un pivot. Pour changer l’image de l’Allemagne, une légende se met en place.
En 1964, la grande fresque de Dominique Lapierre et Larry Collins Paris brûle-t-il, fondée sur la mémoire d’un homme, devient un best-seller.
La super production de René Clément deux ans plus tard étaye la construction de ce mythe. Le général lui-même participe à forger cette légende. »
«Je suis convaincu qu’aucun autre général n’aurait voulu agir autrement, qu’aucun n’aurait vraiment approuvé la destruction de Paris».
Dietrich Von Choltitz
Le décor est planté pour un numéro de prestidigitation internationale. Il s’agit donc de vendre la nouvelle Allemagne, celle des années 50, la démocratique
(l’Allemagne fédérale, par l’autre, celle qui s’appellera paradoxalement « démocratique »), à un monde entier encore traumatisé par la guerre mondiale (50 millions de morts).
On va voir que déjà, les forces de reconstitution du réel étaient à l’œuvre.
On apprend que le général allemand n’est pas le bon gros francophile, bourru mais avec un grand cœur, que le cinéma nous a vendu.
Cela montre, pour ceux qui en douteraient encore, la puissance de persuasion du cinéma.
Nous sommes dans Le Figaro du 3 au 15 octobre 1949, qui a donc fait courir les confidences de Choltitz sur 12 numéros, un scoop évidemment mondial.
Voici les extraits de cette confession très... orientée :
« Le 3 août 1944, je revenais du front Normandie et j’appris que Hitler venait de me nommer commandant en chef de Paris. J’appris que j’étais attendu chez le Führer
cinq jours plus tard. Pour la première fois de ma vie, je me trouvais face à face avec “l’animal fabuleux du siècle”.
Je ne l’avais rencontré qu’une seule fois, lors d’une conférence au quartier général du Feldmarshall von Manstein, sur le Dniepr, et je lui avais été présenté. [...]
Je venais de passer un très mauvais moment en Normandie. J’y avais dirigé le combat dans la seule conviction qu’il nous fallait tenir sur le front pour donner à Hitler
et à son ministère des Affaires Etrangères le temps de prendre des décisions.
J’étais animé de la meilleure volonté en pénétrant dans le bureau de Hitler, j’étais prêt à me laisser convaincre par lui. J’aurais été heureux de m’en aller avec la certitude
qu’il existait encore une possibilité d’influer sur le cours de cette guerre.
Il me cria au visage… Sa terminologie devient sanguinaire, l’excitation marquait chacune de ses expressions, la salive lui coulait de la bouche,
son corps était secoué de tremblements. Je compris qu’un homme gagné par la folie se dressait devant moi.
Hitler finit par se calmer et dit : “Général, vous allez partir pour Paris. Maintenez l’ordre dans cette capitale, en tant que ville de l’arrière.
Je vous nomme général-commandant et “Befehlshaber” de la Wehrmacht avec les pouvoirs les plus étendus qu’un général puisse avoir.” L’entretien était fini.
Je reçus du Grand Quartier Général, près de Rastenburg, en Prusse orientale, l’ordre écrit de paralyser, et de faire sauter l’ensemble de l’industrie de Paris et de sa banlieue. Simultanément, je vis arriver de Berlin une unité spécialisée dans les travaux de destruction. »
Puis le 15 août alors que le débarquement des Alliés se déroule en Provence, von Choltitz reçoit un nouvel ordre par la radio cette fois-ci :
« Je devais détruire les ponts de Paris ! »
La réplique d’un général qui sait que la bataille de Paris est perdue d’avance :
« “J’ajournai les ordres de destruction et je fis installer les hommes du génie à proximité de mon bureau”. En bon soldat loyal, dit-il, il devait tout faire pour sauver Paris
de la destruction. Il a acquis la conviction qu’il ne pourra en aucun cas arrêter l’avancée des Alliés. »
Mais le 22 août, l’ordre historique tombe :
« Le 22 août, un ordre signé Hitler s’adresse plus particulièrement au commandant en chef de la Wehrmacht du “Gross Paris”.
Von Choltitz rapporte le texte : “Paris sera transformé en un tas de décombres. Le général commandant en chef défendra cette ville jusqu’au dernier homme
et, s’il est besoin, se fera ensevelir dessous”.
“J’étais seul et je savais, puisqu’on m’avait donné l’ordre de réduire Paris en un tas de décombres, que la capitale ne pouvait plus faire l’objet de plans raisonnables et réalisables.
Je rayai cet ordre de ma mémoire et je pris désormais mes décisions en toute indépendance.”
Lors de la troisième semaine d‘août 1944, les premières barricades sont édifiées dans de nombreux endroits. Un char allemand essuie des coups de feu au Grand Palais.
Depuis son PC place Denfert-Rochereau, le commandant régional FFI, Rol-Tanguy, dirige l’insurrection parisienne.
Les forces franco-américaines se rapprochent de Paris, l’action de la Résistance s’intensifie. Le général von Choltitz refuse qu’un raid aérien de la Luftwaffe bombarde la capitale.
Au soir du 23 août ses hommes menacent de se mutiner.
Quand toutes les cloches de Paris sonnent, von Choltitz comprend que l’armée alliée fait son entrée à Paris.
De l’hôtel Meurice qui lui sert de QG, il entend des tirs d’artillerie et de chars. Très rapidement les combats redoublent de violence autour de l’hôtel. »
Panther detruit place de la Concorde