Les experts en politique de défense du SPD (parti social-démocrate allemand) souhaitent mettre un terme à l'impuissance de l'UE en matière de sécurité.
Leur proposition: doter la Commission de ses propres forces armées. Une décision qui exigerait un véritable «élan révolutionnaire».
Il a recommencé. Lors du débat du Parlement européen sur les répercussions des élections américaines ce mercredi, Josep Borrell a tout d'abord transmis
ses félicitations au président élu Joe Biden pour cette « victoire historique ». Puis, le responsable des affaires étrangères de l'UE est vite entré dans le vif du sujet :
pour lui, l'Europe doit « renforcer son autonomie stratégique, mieux gérer ses capacités et nous protéger efficacement » si elle veut pouvoir exploiter pleinement
les opportunités qu'offrirait une nouvelle ère de partenariat entre l'UE et les États-Unis.
Depuis que le social-démocrate espagnol a été nommé Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité il y a près d'un an,
il n'a que ces mots à la bouche. Lors de son discours d'investiture, il avait notamment déclaré que l'UE devait apprendre « le langage du pouvoir ».
Lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, il a souligné que l'Europe ne devait pas se contenter de « glisser chaque jour des commentaires pour faire part de son inquiétude »,
mais défendre activement ses intérêts, sur le plan diplomatique comme militaire.
Et Josep Borrell a su traduire ses paroles en actes :
il a d'ores et déjà milité pour le déploiement de soldats en Lybie, et ne serait pas non plus opposé à un renforcement de la présence militaire européenne dans le Sahel.
« L'ère de l'Union européenne conciliante, quand ce n'est pas naïve, a vécu », a écrit le chef de la diplomatie européenne dans le journal Die Welt.
«Le soft power vertueux ne suffit plus dans le monde d'aujourd'hui. Il faut y ajouter une dimension de hard power.»
Pourtant, dans les faits, Josep Borrell est un roi sans royaume. Les décisions de politique extérieure requièrent l'unanimité des 27 États membres,
tandis que le recours à l'armée reste du ressort des gouvernements nationaux.
Certes, il existe depuis 2005 des troupes de combat européennes, que l'on appelle les Battlegroups.
Il s'agit de deux dispositifs militaires composés de 1500 soldats chacun, qui sont mis à la disposition de l'UE afin de lui permettre de réagir rapidement à d'éventuelles crises.
Ces bataillons sont équipés de matériel lourd comme des chars et des hélicoptères de combat, et sont dirigés pendant six mois par une nation cadre,
qui fait partie des États membres apportant l'essentiel du contingent, selon un principe de rotation.
Actuellement, il s'agit de l'Allemagne et de l'Italie. D'autres pays y participent avec des effectifs plus réduits.
Or, les Battlegroups ne sont encore jamais intervenus en l'absence d'accord politique. Pour le moment, aucun État-membre ne s'est même porté volontaire pour assumer le rôle
de nation cadre pour le premier semestre de 2021 – bien que l'Europe compte environ 1,4 million de soldats actifs.
La Commission négocie actuellement avec Berlin et Rome pour prolonger leur mission pour au moins trois mois supplémentaires.
Le ministre de la défense allemand a laissé entendre qu'il pourrait y être disposé, à condition cependant que les autres pays assument de plus amples attributions.
Si les discussions vont bon train, ce couac constitue d'ores et déjà un sérieux revers pour les ambitions géostratégiques de Josep Borrell.
L'Espagnol a néanmoins reçu du soutien de la part des socio-démocrates allemands.
« La situation géopolitique et les valeurs européennes obligent l'UE à assumer un rôle actif en matière de politique de sécurité », peut-on lire dans un document de réflexion
de douze pages rédigé par le groupe de travail politique de sécurité et de défense du groupe SPD au Bundestag – dans la droite lignée des objectifs de Josep Borrell.
Or, ajoutent-ils, dans les situations de crise « la Commission dépend encore trop de la volonté des uns et des autres ».
L'heure serait donc venue « de franchir un pas courageux vers la création d'une armée européenne ».
La proposition des experts en politique de défense du SPD s'appelle «la 28e armée».
Plutôt que de se concentrer sur le développement de la coopération entre les 27 armées nationales comme cela a été fait jusqu'à maintenant, une armée propre serait ainsi créée,
en parallèle des troupes nationales. La 28e armée serait directement soumise à la Commission et placée sous la responsabilité d'un nouveau Commissaire à la défense.
Le contrôle politique serait assuré par un Comité de défense du Parlement européen. Comme en Allemagne, les eurodéputés décideraient ainsi du déploiement des troupes
à la majorité simple sur proposition de la Commission. C'est ce qui distingue cette proposition du SPD des autres initiatives précédemment lancées comme celle de l'ex-ministre
des affaires étrangères polonais Radek Sikorski, qui proposait la création d'une «légion européenne» à l'image de la légion étrangère française.
D'après le document de réflexion, les effectifs de la 28e armée seraient basés sur ceux des Battlegroups, avec un premier contingent d'environ 1500 soldats.
À moyen terme, une brigade de troupes de combat devrait y être ajoutée pour atteindre environ 8000 soldats, éléments de soutien comme la logistique
et le personnel soignant inclus.