Article du 9 avril 2022
Enseignant d’histoire-géographie à Paris, Franck-Olivier Jutier est parti pour se battre en Ukraine. Il raconte les raisons de son engagement.
"Je ne supportais pas de rester en France et de regarder, comme on regarde une bonne série Netflix."
Franck-Olivier Jutier a tout laissé pour rejoindre l’Ukraine.
Dès l’invasion russe, il a su qu’il devait aller sur place. Il a pris son passeport, commandé du matériel militaire sur Internet, laissé sa fille de 6 ans en garde alternée chez sa mère,
et il est parti.
Toujours intéressé par la chose militaire, il regrette n’en avoir jamais fait l’expérience.
« J’ai le grand regret, jeune homme, de ne pas être allé en Yougoslavie. » Il fait son service militaire, aux Affaires étrangères, service culturel.
Il vient alors d’avoir sa première fille. « J’avais très envie de m’engager dans une unité de Casques bleus qui, je le savais, devait aller à Sarajevo »,
explique celui qui aurait souhaité faire une carrière militaire dans l’aviation de chasse.
« C’est toute une construction qui fait qu’on peut en arriver là »
Il ne parvient pas à l’intégrer et devient enseignant d’histoire-géographie, passionné par les idées des Lumières, les valeurs de la Révolution française.
Parti en Israël pour des fouilles, dans sa vingtaine, il avait été « touché » par la construction du pays autour de la figure du citoyen soldat, dont il trouve le concept
« très Révolution française. » « C’est toute une construction qui fait qu’on peut en arriver là.
À partir de quand mes lectures et ma formation intellectuelle deviennent-elles concrètes ? »
Avant son départ pour l’Ukraine, il échange avec Laurent Coury, volontaire au sein de la Légion géorgienne, une formation paramilitaire intégrée à l’armée ukrainienne.
Il arrive sur place, dans la région de Lviv dans la nuit du 20 mars. Il y retrouve d’autres Européens et Américains, venus se battre pour la défense du pays.
« On est là égoïstement, pas que pour les Ukrainiens, mais pour l’Europe et la France », clame l’homme.
Depuis trois semaines, il s’entraîne au tir, à la tactique militaire. Parmi la cinquantaine de volontaires étrangers au sein de la Légion géorgienne, il est un des rares
à ne pas avoir de d’expérience militaire.
Celui qui se dit « contre les milices et les vigilantes comme dans les westerns » se retrouve assigné à la logistique et au recrutement des volontaires étrangers
du groupe paramilitaire. Il filtre les candidatures, pour éviter « les va-t-en guerre, les types un peu furieux et les fachos. »
« On est des bons sociaux-démocrates », témoigne-t-il, se disant proche du Printemps républicain.
Se disant « vrai romantique, assez pessimiste », il fait le parallèle avec les Brigades internationales en Espagne.
Pour l’instant, la guerre est encore loin. Il n’a pas vu de morts, uniquement des blessés. Que des témoignages indirects des combats.
Ses journées sont rythmées par les sirènes d’alarmes et les descentes au bunker. « On vit dans l’inquiétude, mais pas dans la peur. »
En France, sa famille, qui habite Châteauroux, craint pour lui. « Je ne sais pas quand je vais rentrer. Il faudra bien que je rentre. »
Aller au front ? « Je me tue à dire que ce n’est pas dans nos projets, mais j’en ai envie, je ne vous le cache pas. »
Une envie irrésistible de mettre la main dans l’engrenage de l’histoire.
source
lanouvellerepublique.fr