Dans le monde occidental, des millions de personnes quittent leur travail. L’offensive néolibérale, la catastrophe écologique et la pandémie ont attisé cette fugue massive.
L’appel à déserter lancé le 10 mai par les étudiants d’AgroParisTech a agi comme un détonateur.
Visionnée plus de 12 millions de fois, leur vidéo a libéré la parole et révélé un mouvement de fond qui remet en cause frontalement les modèles de la réussite sociale.
C’est une fissure dans l’ordre établi : la carrière ne fait plus rêver. Les tours de la Défense et la « rolex à cinquante ans » non plus.
Partout, des jeunes et des moins jeunes questionnent le travail, sa finalité et son sens. Certains, même, le refusent, pour inventer, ailleurs, une vie
qu’ils et elles estiment plus riche.
Quelques mois seulement après le glas des confinements, qui a gelé tout un pan des activités économiques, une partie de la population rechigne toujours à revenir dans le rang,
à finir ses études, ou à retourner dans les usines ou les entreprises.
Aux États-Unis, des sociologues ont baptisé ce phénomène « Great Resignation » ou « Big Quit » : « la grande démission ».
En 2021, plus de 38 millions d’étasuniens ont quitté leur emploi. 40 % n’ont toujours pas repris de travail.
Un tsunami qui touche tous les âges, tous les métiers. Et qui renverse le rapport de force entre salariés et entreprises.
« Nous démissionnons tous, désolés pour le dérangement », écrivent sur une affiche les salariés d’un Burger King dans le Nebraska.
« Veuillez être patient avec le personnel qui a répondu présent, plus personne ne veut travailler », disent les employés d’un McDo au Texas.
« Fuck les cadres, fuck cette entreprise, fuck ce job… Je démissionne, putain ! », crie dans le haut-parleur de son magasin une employée de Walmart au Texas.
Un discours qui fit des émules parmi ses collègues.
L’Amérique bouge et elle n’est pas la seule. En Angleterre, les seniors démissionnent en masse. 300 000 travailleurs âgés de 50 à 65 ans ont rejoint la catégorie
des « économiquement inactifs ». Leur désir principal, selon le résultat d’une vaste étude ? Prendre leur retraite et s’échapper définitivement du monde professionnel.
Au Québec, la tension est telle que les employeurs ne renâclent plus à embaucher des mineurs pour faire face à la pénurie de travailleurs dans les secteurs de la manutention
et des services. 240 000 postes restent abandonnés.
En Espagne, on imagine même faire venir des milliers de Marocains et prolonger les cartes de séjour des étrangers pour pallier le manque de main d’œuvre
dans le secteur du tourisme.
À quoi bon s’élever quand tout s’écroule ?
Cette situation résonne avec la France. Ici aussi, l’exode a commencé.
Des centaines de milliers de postes ne sont pas pourvus, faute de candidats, dans l’hôtellerie ou la restauration tandis que dans les grandes écoles,
chez les classes moyennes supérieures, la sécession couve.
Au-delà des discours tonitruants dans la presse, une révolte plus silencieuse se propage. Dans chaque promotion, et même là où on l’attend le moins, dans les entreprises
des énergies fossiles ou dans la haute administration publique.
Le doute se répand. La crise écologique vient battre en brèche les rêves d’antan au goût de naphtaline. Que vaut une promotion face au péril climatique ?
Pourquoi se battre pour des places quand c’est tout le système qui vacille ? À quoi bon s’élever quand tout s’écroule ?
Une « menace pour l’économie française »
D’après un récent sondage, publié en mai, plus d’un tiers des sondés (35 %) affirme n’avoir jamais eu autant envie de démissionner.
Une proportion qui monte à 42 % chez les moins de 35 ans. Les observateurs parlent de « révolution sociétale », et de « menace pour l’économie française ».
En bas de l’échelle, l’offensive néolibérale pousse aussi au départ. Face aux dégradations des conditions de travail et aux bas salaires, nombreux sont les employés,
écœurés, à prendre la poudre d’escampette.
À l’hôpital, le phénomène est particulièrement visible. Les cadences et le manque de reconnaissance incitent les aides soignants et les infirmières à partir. 60 000 postes
ne trouvent toujours pas preneurs.