Encore un scandale!
Le ministère en cause est celui de l’Agriculture. Il partage, avec celui de la Culture, une lourde responsabilité.
Car s’agissant du château de Grignon que ce dernier a depuis plusieurs années abandonné à son sort, refusant de transformer son inscription en classement ,
et alors que le ministère de l’Agriculture souhaite s’en débarrasser sans se soucier réellement de son avenir, le moins que l’on aurait attendu de la rue de Valois
et de la DRAC Île-de-France aurait été qu’ils portent une attention particulière à ce monument.
Le mobilier de Grignon bradé par les Domaines
L’histoire commence au mois de juin 2022 quand sont proposés par les Domaines, le service de l’État chargé de céder le mobilier dont il n’a plus l’usage,
sur son site www.encheres-domaines.gouv.fr du mobilier provenant du domaine de Grignon.
Il s’agit d’une vente uniquement en ligne, se déroulant du 10 au 15 juin 2022.
Tout ce mobilier était qualifié comme étant « de style », ce qui signifie qu’il s’agissait d’un mobilier courant, peu ancien et inspiré des formes des siècles précédents.
Les mises à prix étaient dérisoires, quelques dizaines d’euros .
Bref, une vente comme les Domaines en font beaucoup, sans publicité véritable. Bien au contraire d’ailleurs : les objets étaient visibles uniquement en ligne
(il était impossible de les examiner), avec de mauvaises photos les lots provenant de Grignon étant en outre mélangés avec d’autres sans rapport,
les meubles d’une même série vendus en lots discontinus...
Pourtant, ce mobilier n’était pas « de style », il était d’époque, de Louis XV à Napoléon III, avec notamment un ensemble Louis XVI de qualité exceptionnelle.
Des meubles revendus à Drouot en novembre
Une partie de ces meubles, acquise par un marchand, a été revendue ensuite par la SVV Daguerre, le 8 novembre dernier, à l’hôtel Drouot.
Il s’agissait de trois des lots cédés par les domaines en juin : un lit, un ensemble de dix chaises, et une console. Les meubles étaient cette fois correctement décrits
par Daguerre comme d’époque Louis XVI et provenant du château de Grignon.
– le lit faisait partie à Grignon d’un lot de deux (n° 238) ; il a été adjugé au 520 € par Daguerre, alors que les deux lits l’avaient été pour 110 € par les Domaines ;
– un ensemble de dix chaises étaient vendues par les Domaines (lot n° 369) comme « de style » sur une mise à prix de 50 € .
Il était finalement adjugé 2 050 € et était revendus aux enchères à Drouot correctement identifié comme d’époque Louis XVI ,
quatre chaises étant estampillées par le menuisier Noël Baudin (1719-vers 1784), maître en 1763, trois autres par Philippe-Joseph Pluvinet (?-1794), reçu maître en 1754 ;
cet ensemble, portant la marque au fer « S. A. G. », fut adjugé 4 550 € le 8 novembre dernier ;
– une console en chêne sculpté , vendue à nouveau comme « de style » 2 250 € sur une mise à prix de 40 € (lot n° 245) repassait en vente le 8 novembre
comme parfaitement authentique, toujours avec la marque au fer d’inventaire « S. A. G. » et était adjugée 13 000 €.
Mais il ne s’agit ici que de la pointe de l’iceberg car quatre autres lots qui comprenaient au total un canapé, deux bergères, quatre fauteuils à la reine,
dix cabriolets et trois chaises était encore beaucoup plus précieux puisqu’il s’agit d’œuvres de Jean-Baptiste Sené, l’un des plus grands menuisiers de l’époque Louis XVI,
fournisseur du Garde-Meuble de la Couronne.
Ces quatre lots ont été adjugés au total pour 6 240 €.
Jean-Baptiste Sené (1748-1803)
Fauteuil à la reine provenant du château de Grignon après son achat par un collectionneur anglais.
Il figure également sur l’illustration 7 (photo des domaines) et a conservé ses manchettes de velours gaufré vert.
Le modèle était connu par un meuble de Jean-Baptiste Sené passé en vente avec la collection Malatier, à Drouot, SVV Ader le 10 octobre 2018 .
Ce dernier avait été adjugé à lui tout seul 6 952 € avec les frais, soit une somme équivalente à celle de tout l’ensemble vendu par les Domaines.
Les autres meubles vendus
On trouvait encore dans cette vente de nombreux meubles « de style », Louis XV, Louis XVI, Empire, Restauration, Napoléon III.
En réalité, une grande partie d’entre eux étaient en réalité très certainement d’époque et provenant de l’ameublement historique du château.
Nous avons parcouru toute la vente et tenté, en compagnie de Julien Lacaze, beaucoup plus connaisseur en mobilier que nous, de faire un bilan de ce qui a été venu en juin.
L’exercice est très compliqué : certaines photos sont très petites et fortement pixellisées. Il est probable que grâce aux différents inventaires connus
et aux marques ils pourraient être complètement identifiés.
Bien sûr, il s’agit pour une partie de mobilier courant dont une partie pouvait sans doute être vendu. Mais s’agissant de l’aménagement d’un château historique,
même certains meubles ordinaires auraient pu retrouver leur place. Il faudrait examiner de visu chacun de ces meubles et étudier leur histoire pour déterminer
ce qui est d’origine et peut ou non être intéressant et qui n’aurait pas dû être vendu.
Répétons que cette liste n’est pas exhaustive, et que ces identifications sont pour certaines peut-être approximatives, mais il est évident que toute cette vente
des meubles de Grignon a été faite sans aucune expertise, et sans que leur intérêt historique ait été identifié.
Il est évident que ce mobilier historique, provenant d’un domaine national, aurait dû être conservé, restauré et mis en valeur, dans l’idéal replacé dans le château
de manière pérenne en espérant que celui-ci ne soit pas vendu à un promoteur comme tel en était le projet ou au moins affecté au mobilier national
et déposé dans un musée ou dans un autre domaine national.
Nous avons interrogé le Mobilier National qui nous a d’ailleurs confirmé qu’il n’avait pas été interrogé sur l’opportunité de cette vente, alors qu’il s’agit d’une obligation.
Comme nous l’a en effet signalé Julien Lacaze, président de Sites & Monuments, le code du patrimoine précise :
« La remise à l’administration des domaines des objets mobiliers de toute nature par les services publics est subordonnée au visa préalable du président du Mobilier national
attestant qu’aucun d’eux ne présente un intérêt public du point de vue de l’histoire ou de l’art ; dans le cas contraire, les objets sont remis,
contre décharge régulière, au Mobilier national et inscrits par celui-ci à son inventaire » (article D. 113-16 du code du patrimoine).