Pour ce qui est du livre j'ai quelques extrais trés amusants dont je dois vous faire part.
Le 6 mars 1943, deux soldats allemands parlent de la guerre. Budde, le pilote de chasse, et Bartels, le sous-officier, ont été faits prisonniers par les Anglais quelques semaines auparavant. Pour eux, les combats sont finis, et le temps est venu d’échanger leurs souvenirs :
« Budde : J’ai participé à deux raids aériens, on a bombardé des maisons.
Bartels : Tu parles de bombardements stratégiques, comme nous, avec des cibles précises?
Budde : Non, des bombardements au hasard, pour déstabiliser l’ennemi. On prenait la première cible venue, des villas sur une colline par exemple. Tu vois, on les survole comme ça et tout à coup, pssssst, on fond dessus, les fenêtres explosent, le toit s’envole. Une fois à Ashford, sur la place du marché, il y avait un attroupement, des tas de gens, des discours… bah, je peux t’assurer qu’on les a pulvérisés ! C’est très amusant ! »
Les pilotes Baümer et Greim ont eux aussi vécu de beaux moments, comme ils se plaisent à le raconter :
« Baümer : On a fait installer à l’avant de l’avion un canon de deux centimètres. On volait en rase-mottes, et quand on croisait des voitures, on allumait les phares, pour qu’elles croient qu’une autre automobile arrivait en face. Et là, avec les canons, on nettoyait tout. Ça marchait du tonnerre. C’était du beau travail, on s’en donnait à cœur joie ! On a fait ça aussi avec des trains et des convois.
Un ton inhabituel et dérangeant
Greim : Un jour, on a mené un raid sur Eastbourne. On est arrivés et on a vu un château. Apparemment, il y avait un bal ou quelque chose comme ça, en tout cas plein de dames en tenue de soirée et un orchestre. La première fois, on s’est contentés de survoler, mais ensuite on a piqué et tout canardé. Ah ! Mon ami, c’était vraiment le pied ! »
Le ton des soldats Budde, Bartels, Baümer et Greim est inhabituel et dérangeant. Rien à voir avec celui qu’on trouve dans les documentaires télévisés ou les Mémoires de guerre: c’est le ton de soldats qui bavardent entre eux et se racontent leurs expériences.
Ces enregistrements offrent sur la Seconde Guerre mondiale un regard «de l’intérieur» et détruisent à jamais le mythe d’une Wehrmacht «propre». Dans ces récits, les soldats nous livrent leur vision de l’ennemi et de leurs chefs, ils se racontent par le menu telle ou telle opération militaire et rapportent avec un luxe de détails étonnant les atrocités qu’ils ont vues et auxquelles ils ont pris part.
Toutes les raisons sont bonnes pour tuer. Parfois il suffit qu’un homme ne change pas de trottoir assez vite ou rechigne à donner un objet :
« Zotlöterer : J’ai tiré sur un Français par-derrière. Il était à vélo.
Weber : De très près ?
Zotlöterer : Oui.
Heuser : Il voulait te faire prisonnier ?
Zotlöterer : Tu parles ! Je voulais le vélo.»
Jusqu’au printemps 1945, près d’un million de soldats de la Wehrmacht ou des Waffen-SS furent capturés par les Anglais ou les Américains, pour la plupart envoyés dans des camps de prisonniers ordinaires. Mais plus de treize mille d’entre eux firent l’objet d’une «observation» plus étroite dans les installations conçues à cet effet que les Alliés édifièrent d’abord dans le domaine de Trent Park, au nord de Londres, dans la Latimer House située dans le Buckinghamshire, puis, à partir de l’été 1942, à Fort Hunt, en Virginie. Il s’agissait d’arracher aux soldats des secrets militaires susceptibles de donner aux Alliés un avantage stratégique. Les cellules étaient truffées de micros; de nombreux indics se mêlaient par ailleurs aux détenus, avec pour mission d’orienter la conversation dans la bonne direction.
La décision d’interner les prisonniers à Trent Park ou à Fort Hunt était prise par des officiers des renseignements alliés, qui désignaient les candidats appropriés. Alors que les Anglais ont mis sur écoute avant tout l’élite de la Wehrmacht, les Américains se sont plutôt intéressés au soldat moyen. Près de la moitié des détenus de Fort Hunt étaient de simples hommes de troupe, en particulier de l’armée de terre, les sous-officiers ne représentant qu’un petit tiers des effectifs, et les officiers de plus haut rang, un sixième.
Et, de fait, la diversité des voix donne un aperçu très complet du regard que portent les soldats sur la guerre. Presque toutes les carrières sont représentées, du nageur de combat au général d’armée. De même, les propos recueillis couvrent à peu près tous les théâtres d’opérations. Certes, la quasi-totalité des soldats mis sur écoute avaient été faits prisonniers sur le front de l’Ouest ou en Afrique mais, la plupart ayant combattu dans différentes zones, nous disposons également de descriptions du front de l’Est.
La science s’est toujours demandé à quelle vitesse des hommes en tous points normaux se transforment en machines à tuer. La réponse qui s’impose à la lecture de ces récits tient en deux mots : très rapidement. Pour beaucoup, la phase d’accoutumance dure à peine quelques jours, après quoi ils s’acquittent de leur tâche sans difficulté. Plus d’un avoue même ouvertement en tirer du plaisir.
Parfois, une arme ou un avion suffit, comme le montre cette discussion du 30 avril 1940 entre un pilote de la Luftwaffe et un éclaireur :
« Pohl : Le deuxième jour de la campagne de Pologne, j’ai dû bombarder une gare de Poznán. Huit des seize bombes sont tombées dans la ville, en plein milieu des maisons. Ça ne m’a pas vraiment réjoui. Le troisième jour, ça m’était égal, et le quatrième, j’y ai pris plaisir. Pour se mettre en appétit, on poursuivait des soldats isolés à travers champs et on les laissait gisant les bras en croix avec quelques balles dans la peau.
Meyer : C’étaient toujours des soldats ?
Pohl : Non, des civils aussi. On attaquait les files dans la rue. Je faisais partie d’une escadre de trois appareils. Les avions plongent, les uns derrière les autres, et là, dans un virage à gauche, c’est parti, avec les mitrailleuses et tout ce qu’on avait sous la main. On a vu des chevaux voltiger.
Meyer : Diable, avec les chevaux. Je n’arrive pas à y croire.
Pohl : J’avais mal pour les chevaux, pas du tout pour les hommes. Mais les chevaux m’ont fait de la peine jusqu’au dernier jour.»
Nombre de discussions retranscrites sont des joutes oratoires. Il ne s’agit pas pour les prisonniers de s’épancher; ils se montrent indifférents aux horreurs qui sont derrière eux. Ils veulent plutôt se distraire, rigoler ensemble. Comme souvent lorsque des hommes parlent de leurs expériences devant un cercle de confrères, leurs récits ont quelque chose de vantard.
Le soldat parle peu de la mort, et tout aussi peu de ses sentiments ou de ses peurs. La crainte de mourir ou le désespoir ne sont pas de nature à amuser les camarades. Dans le monde des soldats, l’aveu de n’avoir pas su faire face à une situation extrême est interprété comme une preuve de faiblesse; ce n’est d’ailleurs pas fondamentalement différent parmi les civils. On n’avouera qu’à de très proches amis s’être fait dessus de peur ou avoir dû se rendre.
Les hommes adorent la technique, c’est un sujet sur lequel ils s’entendent vite. Aussi de nombreuses discussions portent-elles sur l’équipement, l’armement, les calibres, et, avec des variations à l’infini, sur comment on a «tué», «abattu», «descendu». Le succès et la fierté du travail accompli existent aussi à la guerre.