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 Louis Jouvet collabo?

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naga
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MessageSujet: Louis Jouvet collabo?   Louis Jouvet collabo? Icon_minitimeJeu 4 Jan - 1:06

Pour l’honneur de Louis Jouvet, par Alberte Robert

Louis Jouvet collabo? Z4410


Je reviens sur les déclarations de l’historien Denis Rolland dans le document L’Occupation sans relâche  présentant l’attitude de Louis Jouvet sous l’Occupation en deux raccourcis sans appel : en 1940 la tournée en Amérique du Sud « comme clairement officielle » donc sous l’égide de Vichy « pour promouvoir le gouvernement pétainiste de la France » ; et le retour en 1945 énoncé avec ironie « en héros… de la Résistance ! ». Or la réalité des faits est tout autre :

En 1940, les Allemands interdisent à Jouvet de jouer Jules Romains et Jean Giraudoux ; les jugeant « anticulturels », on lui offre de les échanger contre Schiller et contre Goethe.  Alors Jouvet leur rétorque qu’« on ne fait du théâtre que par plaisir, et en liberté », et cohérent, laissant son théâtre, il se replie en Suisse avec sa troupe et accepte le projet de Max Ophüls : faire un film de L’Ecole des Femmes qu’il avait créée à l’Athénée. Mais quand il découvre que le cinéaste entretient une liaison avec Madeleine Ozeray, il rompt le tournage et toute la troupe se replie à Lyon. C’est là que Marcel Karsenty (qui a échappé de justesse aux Allemands – comme Ophüls) réussit à monter une tournée vers l’Amérique latine, comme auparavant Sarah Bernhardt et après, Renaud-Barrault. Après avoir joué en zone libre, on rapatrie les décors vers Lisbonne et c’est du Portugal qu’en mai 1941 Jouvet et sa troupe s’embarquent pour une tournée vers Rio et Buenos-Aires de juin à septembre, et qu’ils supposent d’une saison.
A Rio, c’est un triomphe. Conférences, représentations, Molière et Jean Giraudoux, Knock, Ondine, Electre, Le Trouhadec, on joue tous les jours à guichets fermés. L’Argentine n’est pas en reste ! Quand Jean-Pierre Aumont, réfugié à Hollywood avec Renoir, lui propose de le rejoindre, Jouvet, solidaire de sa troupe, refuse, et prend la décision de rester où il est. Avec ses comédiens.

Le gouvernement du Canada propose alors une saison à Montréal, Québec et Ottawa mais comme Washington ne répond pas aux demandes de visas des interprètes, Jouvet comprend que leur séjour est devenu un exil et il entame une deuxième saison à Rio, en élargissant le répertoire à Claudel, Musset et Mérimée.
Après Rio, Sao-Paulo et Buenos-Aires, sans nouvelle des leurs, les comédiens souffrent. Le 21 septembre 1942, les décors et les costumes flambent … Madeleine perd ses parents et sa relation avec Jouvet se dégrade… alors qu’il faut partir, mais où ? Ce sera de l’autre côté de la Cordillère, au bord du Pacifique, au Chili en premier.
Et c’est l’errance : de la fin 1942 au printemps 1945, Karsenty les devance de ville en ville, en bateau, à dos de mules ou par d’improbables gués, à travers un pays âpre et montagneux, afin de préparer les représentations à venir. On pense à Molière et son Illustre Théâtre à travers le Languedoc bien avant les fastes de Versailles.
Après Madeleine, sa vedette depuis 1934, qui l’a quitté à Montevideo, Jouvet perd des comédiens dont le fidèle Romain Bouquet, son compagnon depuis l’aventure avec Jacques Copeau, emporté à Santiago, tandis que sans aucun subside ni subvention, sans nouvelle des siens, sa femme et ses trois enfants, son seul lien avec la France va être l’espoir d’une lettre de Jean Giraudoux, commissaire général à l’Information de 1939 à 1940, lettre qui l’attend quand la troupe atteint une capitale ou un consulat français.
C’est ainsi qu’il apprend que sa nouvelle pièce La Folle de Chaillot attendra son retour, donc la fin de la guerre, pour être montée à l’Athénée…Giraudoux lui précise avoir laissé la date en blanc.

C’est à Mexico que Jules Romains les accueille au début 1945.
Leur odyssée s’achève. En quatre années ils ont parcouru 67 000 kilomètres (une fois et demie le tour de la terre), avec 34 tonnes de matériel, vingt pièces, seize spectacles, par monts et par vaux, ravins torrides et fondrières enneigées ; Valparaiso, Lima, Quito, Bogota, Caracas, les Caraïbes. Ils répétaient sur les bateaux, dans le train, ou sous la tente. Ils étaient quarante, ils reviennent à vingt-sept. Ils s’appellent : Régis Outin, Paul Cambo, Marthe Herlin, Monique Mélinand, Wanda Kerrien, Alexandre Rignault, Camille Demangeat (qui deviendra l’homme de Jean Vilar au TNP), Marcel Karsenty, et épuisés par ces quatre ans, aux limites de leurs forces, ils apprennent la mort de leurs proches. Ce sont eux, ces rescapés, qui m’ont raconté ce que je relate ici, de cette tournée : saluons les saltimbanques !
Quand Jouvet et sa troupe arrivent à Paris, c’est pour mettre immédiatement en répétition la pièce de Giraudoux, et c’est par fidélité que Jouvet et Marguerite Moreno créent La Folle de Chaillot le 20 décembre 1945. « Nous sommes en retard », écrit Jouvet sur le programme en s’adressant à l’auteur qui n’est plus là.
Oui, Denis Rolland, Jouis Jouvet n’était pas à Londres, ni dans le maquis. Il était sur les planches, sur scène avec ses frères d’armes, Arnolphe, Knock, et avec les plumes de Molière, de Jules Romains, de Steve Passeur et de Claudel, de Giraudoux et de Supervielle, elles furent ses dérisoires épées pendant ces quatre années de miracles quotidiens.
Avec sa troupe il a porté haut l’éclat d’une nation humiliée et sans mémoire, d’un pays rabaissé. Lui, saltimbanque infatigable, il a fait ce qu’il savait si bien faire : il a joué.
Son épée était de bois mais son fil, c’était le verbe.
Alors, comme vous l’avez affirmé, présenter Jouvet en 40 comme un suppôt de Pétain et en 45 comme un pseudo résistant, n’est-ce pas une offense, à vrai dire une infamie ? Nul doute que le caustique fantôme de Jouvet n’en sourie, et emprunte à ces auteurs qu’il respectait tant, son si fameux « N’est-ce pas un peu court, jeune homme ? »


source
louisjouvet.fr
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