Temoignage
-Juillet 2021-Confinement-
LUTTER CONTRE LA PANDEMIE MAIS AUSSI REBRANCHER BANGKOK: IL Y A URGENCE !
Je vois assez régulièrement que certains minimisent volontiers la part du tourisme dans le PIB thai.
De petites guerres picrocholines s'ensuivent entre experts de circonstance. Entre rationalité économique et tropisme ideologique.
Prouver que les Thaïs s'accomodent très bien de l'autarcie touristique. Je reprends mon antienne favorite.
Certes l'industrie des vacances n'est pas prépondérante dans la structure de l'economie thaïlandaise mais assurément elle irrigue des centaines de milliers de foyers.
Fort à propos, la publication numérique Thaienquirer affiche en ce moment à sa une:
" Un million et demi de Thaïs sont tombés dans la pauvreté en 2020. Ce sont maintenant 5 millions de sujets du Royaume qui vivent sous le seuil de pauvreté en mi-2021 ".
La frequentation croissante des soupes populaires attestent de cette plongee dans l'abîme.
Mais les distributions gratuites de nourriture à l'initiative de privés, souvent des commerçants, ne saurait pallier une sorte d'imperitie et d'incurie
dans l'application des politiques publiques
Experience personnelle.
Certes, le petit bout de la lorgnette. Édifiant tout de même.
C'était jeudi. Longue déambulation en taxi pour me rendre au Bangkok Hospital, secteur Petchburi à Bangkok. Tout au long du parcours, la sidération s'empare de moi.
Ne me lâche plus. En toile de fond de mon incrédulité, la traversée attentive et inquiète d'un chapelet de quartiers d'ordinaire si encombrés, si affairés, aujourd'hui presque reduits
au silence. Je n'etais pas revenu depuis belle lurette dans cette zone où modernité et pittoresque s'enlacent dans un chant d'amour et d'harmonie.
Je force un peu le trait mais l'entend ainsi. L'ancien, empreint comme il se doit de tradition, et le moderne aux accents avant gardistes, dans la même étreinte
pour relever de concert les defis de l'avenir.
Pour l'heure, évidemment, horizon plombé par la pandémie. Un soupçon d'effroi m'accapare. Sur le coup je ne reconnais plus des pans entiers de cette ville jadis enfiévrée, industrieuse, chaotique. En lieu et place du charivari urbain, frénétique, désorganisé s'impose une chorégraphie du ralenti.
Bangkok préserve ses forces, optant pour une économie de la lenteur. La parcimonie pour conjurer le scenario redouté de lendemains plus cruels encore.
Bangkok devient le lieu de tous les oxymores. À commencer par celui-ci. Ville tentaculaire mais repliée en alvéoles.
Des communautés humaines de taille reduite, juxtaposées les unes les autres dans un maillage d'ensemble à première vue inextricable.
Bangkok, casse tête de tous les urbanistes en quête de logiques d'aménagement. Charmes vénéneux de la Cité des Anges que je prefère énumérer comme une scansion capiteuse. La jungle d'acier, de béton m'étourdit mais ça et là, des jardins exubérants, quelques parcs piquetés de palmiers, des esplanades verdoyantes invitent à la sérenité
dans l'ombre d'un temple à l'architecture flamboyante.
Platinium mall 2020-les boutiques etaient ouvertes mais tres peu de clients
Platinium mall 2021-les boutiques sont fermees.
Le bouddhisme se debrouille très bien pour endiguer la boulimie des promoteurs immobiliers. De ce clair-obscur, de ces contrastes infinis, je raffole.
Farang de nature mais en constant éveil.. avide de symbiose autant que faire se peut. Enfoncé dans la banquette cossue de mon taxi, au hasard des kilomètres,
engoncé dans un début de légère affliction, je regarde de l'autre coté des vitres, défiler cette topographie qui m'était si familière.
De vastes artères telles des saignées géantes, répétitives, au milieu du fouillis des habitations, de l'humble masure au condo de luxe.
Un paysage ponctué de panneaux publicitaires tapageurs. L'hydre qui engloutit l'homme.
Un coup de volant plus tard, peut-être un peu trop abrupt et place à un lacis de ruelles tarabiscotées. La Cour des miracles surgit sous mes yeux ébaubis.
Des grands pères à barbichette cendrée jouent avec des bambins à la frimousse mutine. Jeunesse en éclosion au pays des orchidees.
Gamins espiègles un tantinet désoeuvrés tant les ecoles gardent portes fermées depuis des mois. Alors, ils apprennent les rudiments de la débrouille.
Les trottoirs sont un lieu de vie, le bureau familial, le chantier qui abrite un génie de la bricole et de la réparation.
A l'ombre de la tour Thai Summit, une foultitude d'échoppes proposent des pièces détachées automobiles comme jamais le patron de Tesla n'aurait rêvé avant de commuter
vers l'électrique.
Ce que j'ai vu est un chouïa glaçant: un nombre incalculable de boutiques fermées, des enfilades de devantures recroquevillées sur le seul pas de porte,
des rideaux metalliques baissés. Réflexe d'auto-défense sans doute face à l'adversité d'une économie de privations.
J'ai le moral en compote de ramboutans. Délicieux mais présentement incongru. Pas d'embouteillage. Circulation anormalement fluide.
Un air soudain respirable. Les pots d'échappement des tuk tuk n'échappent à rien, et surtout pas à l'extinction de voix, eux qui d'habitude nous gavent de decibels furibards.
Comme si la moindre allée traversait les 40èmes rugissants. Préfiguration d'une ville zombie, des restaurants souffreteux, terrasses désertées, préfèrent remiser cartes
et menus plutôt que de vendre chichement des plats à emporter.
Ce sont eux qui sont emportés...par la débâcle. Les bars tirent la langue, impuissants à enrayer cette épidémie des gosiers secs.
Les salons de massage aux abonnés absents. Finies les papouilles goguenardes. Des escouades de sémillantes naïades, outrageusement maquillées, se désespèrent,
les phalanges en repos forcé depuis si longtemps. Pas de clients à tripoter. On se rabat sur l'écran du phone toujours partant pour un selfie.
Et que je tapote...et que je chat...Pas de gogos à palper. Desespérant. Des heures durant on enfourche le même tabouret et on confond ses longues jambes
avec une paire d'essuie glace. Croiser. Decroiser. Inanité des journées perdues. Businesses atones.
Même les 7/11 la ramènent un peu moins. Les illuminations extérieures qui, en principe, inondent le macadam de lumières criardes, la jouent un peu terne.
Quelques vendeurs de rue résistent bien à la deroute mais leurs chapelets de saucisses, façon moo ping, ont parfois l'air de furieusement s'ennuyer.
Quelques carioles brinqueballent au rythme des nids de poule, proclamant d'une voix stridente ou aigrelette, c'est selon, toutes sortes de mets allechants.
Au moins, la résistance culinaire reste vivace. Par definition, la street food est toujours de sortie. Somtam au piment rouge vif ou calamar en brochettes,
c'est ici que ça se passe. Même les démarcheurs de tickets de loterie, en quête eux aussi du numéro gagnant qui changera leur vie, cèdent à la tentation
d'un assortiment de couenne de porc séchée.
Petit attroupement autour d'une vendeuse de "roti ". Chocolat et bananes. Juste à côté, les khanom krok qui sentent bon le lait de coco.
Puis la glacière ambulante. Sorbet et tranches de pastèque pour étancher sa soif. Rawn maak maak. ( quelle chaleur! ). Gastronomie de l'immediateté. Populaire.
Inventive. Tellement succulente. Elle côtoie une autre armada, cette fois celle des artisans colporteurs spécialisés dans les colifichets à foison et ustensiles de maison,
du balais brosse aux paniers en fibres tressées, donnant l'illusion de la profusion mais le coeur de ce menu peuple des petits métiers n'y est plus vraiment.
Difficile en effet de donner le change quand la sinistrose s'est durablement installée alentour. Derrière les masques, la détresse.
Des quartiers entiers sont en apnée. Comment ne pas suffoquer? Vite! Il faudrait remonter à la surface. T'as pas cent bulles? Besoin urgent d'oxygène.
Seuls les motosai aux gilets orange vont et viennent d'un bout à l'autre des soi comme d'imperturbables métronomes.
Je me suis rappelé les paroles du fabuliste:
" tous ne mouraient pas mais tous étaient frappés". C'est effectivement frappant et ça fait mal. Sitôt arrivé au Bangkok Hospital, je m'engouffre dans un hall digne
d'un hotel 5 étoiles. Le coeur serré mais confiant dans le génie thaï, je constate un gouffre. Miasmes au dehors, propreté prophylactique en dedans.
Patrick Chesneau