POURQUOI CETTE ÉPAVE A-T-ELLE ÉTÉ SI DIFFICILE À TROUVER ?
Et c'est là que l'Endurance est resté enseveli sous la glace polaire à une profondeur de 3 000 mètres.
En 2019, le Falklands Heritage Maritime Trust a monté sa première expédition pour retrouver l'épave du navire, mais n'a pas réussi à la localiser.
Cet hiver, ils ont essayé à nouveau, en organisant et en finançant l'Endurance22.
L'un des problèmes les plus épineux était d'établir l'emplacement de ladite épave.
Après que l'Endurance a été initialement piégée dans la glace, il a continué à dériver au gré des flots. Lorsque le navire a finalement coulé, le capitaine de l'Endurance,
Frank Worsley, a pris des mesures de l'emplacement à l'aide d'un sextant et les a consignées dans son journal.
Mais en raison de la mauvaise visibilité le jour où les hommes ont abandonné le navire, Worsley n'a pas pu prendre les mesures appropriées qui auraient permis de calculer
la direction et la vitesse de déplacement des floes.
L'une des premières tâches de l'équipe de scientifiques et d'experts d'Endurance22 a été d'examiner les archives de Worsley afin de trouver une localisation plus précise.
« La dernière observation de Worsley remonte au 18 novembre 1915, puis il en a fait une autre le 20 novembre, au lendemain du naufrage du navire », explique Bound.
« Il en a fait une autre le 22, mais il était alors à une certaine distance. Il a donc dû deviner la vitesse de la dérive des glaces.
Il y avait aussi la question des chronomètres de l'équipage. En utilisant les cartes du ciel actuelles bien plus précises, les chercheurs ont calculé que les horloges
de l'Endurance tournaient plus vite que ce que l'équipage avait reporté, une erreur qui déplaçait la position du navire à l'ouest de la dernière position enregistrée par Worsley.
Grâce à ces calculs, l'expédition a pu restreindre ses recherches, mais les chances de retrouver le navire étaient encore grandes.
« Il ne nous restait plus que trois ou quatre jours et nous ne l'avions toujours pas trouvé », se souvient Bound.
« Il y avait encore trois zones à examiner. Mais souvent, c'est la glace qui décide où va se poser notre regard. Et la glace allait d'ouest en est, ce qui nous a fait traverser
la partie sud de notre zone de recherche. Et elle était là ! »
« Elle n'était en fait qu'à 4,16 miles nautiques de la position de Worsley, ce qui montre l'incroyable précision de ses calculs », ajoute John Shears,
le chef de l'expédition Endurance22.
Outre la position de l'épave, le plus grand défi de l'expédition a été la glace de mer.
« Un expert londonien nous a dit qu'il n'y avait que 10 % de chances de passer à travers la glace », se souvient John Shears en riant.
Heureusement, leur navire de recherche, le S.A Agulhas II, était capable de briser une glace de 90 centimètres d'épaisseur à une vitesse de cinq nœuds.
Mais cela ne l'a pas empêché de se faire brièvement « pincer » par la glace en février, lorsque la température est descendue à -10 degrés Celsius.
« La presse en a fait tout un plat », relève Shears. « Mais nous ne sommes restés coincés que quatre heures environ, sur une petite plaque de glace,
jusqu'à ce que la marée nous emporte. »
Le navire de recherche a finalement atteint la zone de recherche désignée le 18 février, et l'équipe a commencé la chasse sous-marine pour mettre au jour l'épave
de l'Endurance. Pour fouiller les fonds marins à 3 000 mètres de profondeur, ils ont utilisé deux AUV équipés d'un sonar et d'une technologie d'étude visuelle.
Largement utilisés dans l'industrie pétrolière offshore, ces gadgets de 3,6 mètres de long ressemblent à des disques durs géants.
Capables de fonctionner de manière autonome à 150 kilomètres d'un navire en activité et de résister à des pressions et des températures extrêmes, ils ont permis de filmer
les toutes premières images du site de l'épave.
Bound et Shears se promenaient sur la glace lorsque les premières images ont été relayées par les AUV.
« Dès que nous sommes revenus sur le navire, nous sommes montés sur le pont » se souvient Bound. « Un des gars du service sous-marin était là,
souriant jusqu'aux oreilles. Lorsqu'il m'a montré une capture d'écran, c'était comme si toute ma vie pouvait se résumer à ce moment-là. »
LE DÉNOUEMENT
Shackleton aurait dit : « Ce que la glace attrape, la glace le garde. » Mais l'histoire de l'Endurance ne s'est pas terminée avec le naufrage du navire.
Le voyage retour de Shackleton à travers la mer de Weddell pour aller chercher de l'aide pour son équipage échoué est devenu l'un des récits les plus célèbres d'exploration
et de survie.
Le 4 avril 1916, Shackleton laissa son équipage sur l'île de l'Éléphant et partit avec cinq autres personnes dans l'un des canots de sauvetage de l'Endurance en direction
de la Géorgie du Sud. Un voyage de 16 jours et de 1 300 kilomètres sur une mer glaciale et agitée, fouettée par des vents de la force d'un ouragan.
« Le vent hurlait en arrachant le sommet des vagues », écrivit Shackleton. « Notre petit bateau montait et descendait, se tordait jusqu'à ce que ses coutures s'ouvrent. »
Arrivés sur la côte sud de la Géorgie du Sud, ils durent faire une randonnée de 36 heures à travers l'île accidentée et montagneuse pour atteindre une station baleinière
à Stromness. Shackleton s'efforça d'y arriver, même si, comme le suggèrent de nouvelles recherches, il souffrait alors probablement d'un problème cardiaque.
Lorsque les hommes arrivèrent en titubant, le directeur de la station, Thoralf Sorlle, eut du mal à en croire ses yeux. « Nos barbes étaient longues
et nos cheveux étaient emmêlés », écrivit Shackleton. « Nous n'étions pas lavés et les vêtements que nous avions portés pendant près d'un an sans nous changer
étaient en lambeaux et tachés ».
Ernest Henry Shackleton a laissé derrière lui l'équipage de l'Endurance désormais prisonnier de la glace, sur l'île de l'Éléphant, partant chercher de l'aide
avec cinq autres personnes dans une station baleinière de l'île de Géorgie du Sud. Lorsqu'il est arrivé, il était si décharné et négligé qu'il en était devenu méconnaissable.
Près de six ans plus tard, alors qu'il se préparait à une autre expédition en Antarctique, Shackleton mourut d'une crise cardiaque en Géorgie du Sud.
Il y fut enterré le 5 mars 1922. Exactement 100 ans plus tard, l'équipe d'Endurance22 a capturé ses premières images de l'Endurance.
Mensun Bound indique que lui et les membres de l'équipage s'arrêteront en Géorgie du Sud sur le chemin du retour pour se recueillir sur la tombe de Shackleton.
« Nous sommes tristes de quitter le site », révèle-t-il. « Mais il y a un grand sentiment de fierté et d'accomplissement. Et nous nous arrêterons
pour présenter nos respects au patron.»
source
nationalgeographic.fr