Les routes des rats (« ratlines » en anglais) étaient des réseaux d’exfiltration utilisés par les nazis ou les personnes ayant aidé les nazis.
Ils ont été créés au sortir de la seconde guerre mondiale afin d’envoyer les individus recherchés par la justice vers des pays lointains comme la Syrie, l’Egypte,
et surtout vers l’Amérique du Sud.
Diverses organisations ont joué un rôle dans cette fuite des criminels de guerre : la Croix-Rouge, le Vatican, le gouvernement américain, la Stille Hilfe, etc.
Chacun de ces acteurs avaient des raisons bien précises d’aider ces criminels : le recrutement de cerveaux brillants pour certains, l’adhésion aux valeurs nazies
pour d’autres… Quoiqu’il en soit, de nombreux acteurs d’atrocités ont ainsi pu mener des vies paisibles aux quatre coins du monde sans jamais être inquiétés,
et voire même pour certains, en étant totalement protégés et intégrés par leur pays d’accueil.
Il faut dire que certaines dictatures, comme celle de Perón (qui était un grand admirateur d’Hitler) en Argentine, étaient très enclines à accueillir des nazis sur leur territoire.
Mais il existe également une dictature, beaucoup moins lointaine, qui a aussi joué un rôle dans l’accueil des criminels de guerre :
l’Espagne franquiste. En effet, le grand public a plus connaissance des fuites de nazis en Amérique du Sud, certainement à cause de la médiatisation
de l’arrestation d’Adolf Eichmann en Argentine ou celle de Klaus Barbie en Bolivie, ou encore par la présence de Josef Mengele dans différents pays de la région.
Mais l’Espagne a elle aussi été une terre d’accueil, même si la discrétion était plus de mise.
Plusieurs villes ont été ainsi concernées, mais l’une d’entre elles semble sortir du lot : Dénia.
Dénia est une ville portuaire, pleine de charme, située à mi-distance entre Valence et Alicante.
Elle fait partie de la communauté autonome valencienne. Coincée entre ces deux grandes villes, Dénia n’est pas une très grande cité :
elle compte un peu plus de 40 000 habitants.
Lorsque l’on se rend dans le cimetière de Dénia, on compte un certain nombre de noms à consonnance allemande.
Et pour cause, elle s’est révélée être l’un des plus gros nids de nazis en Europe après la guerre.
Le soleil, la plage, la promesse d’une vie paisible, la mer facile d’accès pour disparaître rapidement, et surtout, la protection de Franco ont attiré beaucoup
d’anciens criminels nazis dans la petite ville surplombée par un magnifique château.
Le plus célèbre d’entre eux demeure aujourd’hui le général SS Johannes Bernhardt.
Johannes Bernhardt connaissait depuis de nombreuses années l’Espagne et pour cause : il avait joué un rôle prépondérant dans le soutien de l’Allemagne nazie à Franco.
Ami personnel de Franco qu’il a rencontré au Maroc au début des années 1930, il a joué l’intermédiaire entre Franco et Hitler pour coordonner l’aide logistique
aux troupes franquistes pendant la guerre civile espagnole : c’est d’ailleurs lui qui a convaincu Hitler lors d’un rendez-vous en 1936 à Bayreuth
de la nécessité de soutenir Franco.
Mais Johannes Bernhardt avait également une autre facette : il était un riche entrepreneur. Il avait en effet fait fortune au Maroc grâce à l’extraction de différents minerais.
Personnage affable et sympathique, il a construit un empire commercial et était connu comme le roi de la wolframite, car il était responsable de l’achat de ce minerai
en Galice, qui s’avéra par la suite essentiel au fonctionnement des chars d’assaut pendant l’expansion nazie en Europe.
Johannes Bernhardt s’est installé naturellement à Dénia dès la fin des années 1930.
Il possédait une villa dans une zone rurale de la ville, le quartier de Tossalet, où sa femme, ses enfants et même sa belle-famille vivaient en permanence,
tandis qu’il voyageait en Espagne pour s’occuper de ses affaires. La maison était populairement connue comme la Casa del Alemán.
Cependant, la fin de la Seconde Guerre Mondiale allait signer le clap de fin pour le général SS.
En effet, au début des années 1950, le gouvernement des États-Unis commença à faire pression sur Franco, à qui il présenta une « liste noire »,
détaillant les noms de militaires et d’officiers de haut rang de l’Allemagne nazie dont le dictateur, soucieux de ménager les américains,
n’était pas prêt à tolérer la présence sur le sol espagnol.
Cette menace a obligé Bernhardt à fuir en Argentine avec sa famille en 1953, où il a acheté de grandes étendues de terre qu’il a consacrées à l’agriculture extensive
et a continué à mener une vie confortable. Il existe aujourd’hui un trou dans sa biographie concernant la fin de sa vie mais une chose est certaine :
il est mort à… Munich en 1980! Il a donc certainement pu lui aussi retourner vivre tranquillement dans la capitale bavaroise sans être inquiété par la justice.
Si Johannes Bernhardt a dû fuir, d’autres nazis de moindre importance ont pu vivre et mourir à Dénia.
C’est le cas par exemple de l’ancien officier de la Waffen-SS, Gerhard Bremer, qui avait participé à l’invasion de la Pologne en 1939,
ainsi qu’à de nombreuses batailles à l’est de l’Europe, où il participa de près ou de loin à des massacres.
Waffen-SS, Gerhard Bremer
Après avoir passé plusieurs années en prison en France, il s’est installé à Dénia avec son épouse à 1954 et a même créé un complexe de luxe appelé Bremers Park Bungalows,
où, il organisait des soirées spectaculaires où se retrouvaient les personnalités de la ville ainsi que les anciens nazis recherchés en Europe.
Nous avons aujourd’hui un témoignage de ces soirées. Les fêtes qu’il organisait chaque 25 juillet, jour de la Saint-Jacques, dans son hôtel pour célébrer ses anniversaires,
sont entrées dans l’histoire de Dénia.
Un témoin direct de ces commémorations est Vicent Grimalt, l’actuel maire de Denia, qui, enfant, participait aux anniversaires de Bremer en tant que membre de l’orchestre
de Denia.
« Ce jour-là, les amis de Bremer sont allés chercher tous les membres de la bande avec des Mercedes sur la place de la ville.
Rien que ça, c’était une fête pour nous, car imaginez les voitures qu’il y avait à l’époque », dit Grimalt.