L’avocate du jeune marocain condamné à mort à Donetsk témoigne.
Un jeune marocain de 21 ans, Brahim Saadoun, a été condamné à mort le 9 juin aux côtés de deux ressortissants britanniques, Aiden Aslin et Shaun Pinner.
Il est accusé d’avoir combattu auprès de l’armée ukrainienne comme « mercenaire » par un tribunal de la république pro-russe de Donetsk, la DNR.
Son avocate commise d’office vient de terminer de rédiger l’appel qui doit être déposé dans les prochains jours. RFI a pu la voir, à Donetsk.
On la rencontre dans un café du centre de la ville. Elena Nikolaevna Vesnina est avocate depuis trente-trois ans.
Expérimentée et commise d' office pour défendre Brahim Saadoun, elle communique aisément en russe avec lui, dit-elle, mais pour être certaine qu'il maîtrise
tous les éléments, un interprète en français a été mis à disposition.
« J'étais avec lui au moment du verdict, il n'a pas réagi. Il me semble qu'il ne comprend pas ce qu'il se passe en raison de son jeune âge, il a 21 ans.
Il a saisi la sentence, mais je crois qu'il ne réalise pas toute l'horreur de la situation. »
Elena Nikolaevna Vesnina vient de terminer de rédiger l’appel, et son argument principal pour la défense, c'est bien le jeune âge de Brahim Saadoun.
« Quand je l'ai rencontré la première fois, il m'a demandé : "C'est ici la DNR ?", avec de grands yeux écarquillés. Je lui ai dit : "Mais quoi, qu'est-ce que tu pensais
qu'il y avait ici ?" Et il m’a répondu : "Je pensais que tout le monde ici mettait des cagoules et portait des mitrailleuses".
Autrement dit, je pense que c’est la propagande qui l'a conduit à ce genre "d’exploits". Mon impression personnelle est qu'il a été recruté. »
Brahim Saadoun, dit son avocate, a également plaidé ne pas avoir combattu. Déployé comme membre des marines ukrainiens, il s'est rendu à Marioupol
avec les soldats retranchés dans l’autre usine emblématique de la ville, l'usine Illitch.
Le jeune homme risque d'être à nouveau reconnu coupable en appel, mais son avocate espère obtenir une longue peine de prison plutôt que la mort.
Si le verdict est confirmé, le dirigeant de la république séparatiste pro-russe a en tout cas prévenu :
pas question de gracier les condamnés. En DNR, la peine de mort est appliquée par peloton d'exécution.
Elena Nikolaevna Vesnina s'est confiée à notre envoyée spéciale dans la région de Donetsk, Anissa El Jabri, à propos de son travail pour Brahim Saadoun.
RFI : Comment avez-vous commencé à travailler avec Brahim Saadoun ?
ENV : Il existe une catégorie de cas dans lesquels la présence d'un avocat est obligatoire. C’était son cas.
Le bureau du procureur général m'a appelé, j’y suis allée et je me suis occupée de cette affaire dès le premier jour.
Comment travaillez-vous avec lui ?
Il parle russe. Quand il est arrivé sur le territoire de l'Ukraine, il a suivi des cours de russe et nous pouvons échanger. En plus de cela, nous avons un interprète
qui parle français. S'il ne comprend pas quelque chose, il y a toujours un interprète à proximité.
Combien de fois l'avez-vous vu?
Cinq fois. J'ai participé avec le traducteur à tous éléments de l'enquête qui ont été menés avec lui.
Chaque action : interrogatoire, reconstitution des faits. Nous sommes allés à Marioupol, il a montré où ils s'étaient cachés. Les soldats de l'usine d'Ilitch à Marioupol
se sont tous rendus d’eux-mêmes. Il n'est pas le seul. Il y avait beaucoup de monde là-bas. Je l'ai même nourri toute la journée, il avait faim tout le temps.
Je viens de terminer d’écrire l’appel ce mardi 28 juin, et je l'ai donné au traducteur pour le traduire en deux langues, en français et en anglais.
Restez-vous en contact ? Tous les appels sont-ils autorisés?
Non, les appels ne sont pas autorisés. Il faut aller le voir en personne.
Où est-il détenu?
À Makeevka, dans la colonie pénitentiaire numéro 97.
Quelle a été sa réaction au verdict ?
J'étais avec lui, il n'a pas eu de réaction au verdict. Il me semble qu'il ne comprend pas ce qui se passe en raison de son jeune âge, il a 21 ans. Comment vous expliquer ?
Mon opinion personnelle, c’est qu’il ne réalise pas toute l'horreur de la situation.
Avez-vous eu des contacts avec ses proches ?
Une femme m'a appelée au nom de son père. Elle était sa traductrice, je lui ai expliqué ce qui allait se passer ensuite. Nous sommes toujours en train de nous envoyer
des SMS. C’était après le verdict, personne n’a essayé de me joindre avant.
Que vous dit la famille ?
Une famille est une famille, et bien sûr, ils sont inquiets. Je les ai calmés. À mon avis, encore il y a une peut-être une chance de changer sa peine.
Je pense qu'il est juste jeune, et que donc il ne comprenait pas du tout ce qu'il faisait. C'est ce que j'ai expliqué à son père.
Qu’en pensera le tribunal ? C’est à lui d'en décider.
L’appel en tout cas est rédigé, il sera traduit d'ici à quelques jours, puis transmis et ce n'est qu'après que la date d'examen de ces plaintes
(ndlr : le procès en appel) sera fixée. Ensuite, nous avons un autre droit : demander la grâce, mais ce sera la dernière étape.
Notre législation ne prévoit pas d'autres options. C'est la dernière.
Brahim Saadoun se comporte normalement. Il n'y a pas de problème, pas de conflit avec lui. Nous avons immédiatement trouvé un langage commun.
Il vient d'une autre civilisation et est arrivé dans un monde complètement inconnu. Et, probablement, dans cet inconnu, il voulait tout essayer, vivre une aventure.
Encore une fois, c'est mon opinion personnelle, je ne suis pas entrée dans sa tête.
C’est ce que vous allez plaider au tribunal ?
J'ai écrit tout cela dans l’appel, j'ai écrit ces impressions. Nous ne contestons ni les qualifications ni les circonstances de l'affaire.
Nous ne contestons que la punition.
source
RFI