Mais même si la prouesse de concevoir en quelques mois 800 km de fortifications peut impressionner, l’idée même de s’atteler à une telle tâche
peut sembler anachronique. D’autant plus que “ce que les Russes ont construit en Ukraine est très similaire aux lignes de défense de la Première Guerre mondiale”,
assure Danilo Delle Fave, expert en stratégie militaire à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.
Historiquement, le développement des tranchées et autres fortifications remonte au conflit de 14-18.
"Il s’agissait alors de répondre à certaines avancées technologiques qui rendaient les assauts frontaux beaucoup plus difficiles", note Sim Tack.
L'irruption de mitrailleuses et de tanks sur le champ de bataille avait de quoi décourager les soldats à partir fleur au fusil à l’assaut des positions ennemies.
Mais à partir des années 1960, d’autres innovations ont rendu les tranchées beaucoup moins attractives.
"Le recours à l'artillerie, à la couverture aérienne et à l’imagerie satellite ont fait de ces lignes de défense statiques des cibles faciles à bombarder
avant de lancer une offensive", résume Sim Tack.
"La Russie aurait mieux fait de mettre en place des lignes de défense élastiques, faites de petites unités qui peuvent se déplacer rapidement pour s’adapter à l’évolution
de la situation", note Danilo Delle Fave.
Mais pour ce faire, il faut des soldats professionnels, parfaitement entraînés et capables de prendre des décisions très rapidement.
Malheureusement pour Moscou, "aujourd’hui son armée en Ukraine est essentiellement constituée d’appelés et de volontaires ;
la plupart des soldats professionnels ont péri durant la première année du conflit", rappelle l’expert italien.
En fait, le choix de ressusciter une approche défensive en vogue jusqu’au milieu du siècle dernier prouve que l’armée russe a beaucoup perdu en qualité
depuis le début de la grande offensive de février 2022, d’après les experts interrogés par France 24.
Un piège pour l'Ukraine ?
Pour autant, ce n’est pas un obstacle facile à franchir pour les troupes ukrainiennes en cas de contre-offensive.
En effet, ce système de défense a précisément pour but de contrer ce qui fait la force de l’armée ukrainienne : sa rapidité et ses chars.
"L’idée n’est pas de bloquer l'offensive mais de la ralentir", souligne Sim Tack.
"C'est aussi un dispositif bien adapté à la guerre d’attrition que Moscou veut mener", assure Danilo Delle Fave.
L’obligation d’éliminer les points de passage fortifiés les uns après les autres pour se frayer un passage va amenuiser les forces ukrainiennes
– aussi bien en équipements et en soldats.
"L'Ukraine aura toujours un déficit en homme par rapport à la Russie, et Moscou espère qu’en lançant une contre-offensive, le rapport de force va basculer encore plus
en faveur de la Russie", précise Danilo Delle Fave.
L'État-major russe espère que son dispositif, aussi désuet soit-il, fonctionne comme un piège. Il devrait permettre à l’Ukraine d’avancer
mais à un prix tellement exorbitant qu’après cette contre-offensive – si elle n’est pas décisive – "Kiev n’aura plus de moyens d’en préparer d’autres,
ce qui permettrait à Moscou d’assurer ses conquêtes dans le Donbass", estime Sim Tack.
La priorité pour l’Ukraine serait donc de tout faire pour minimiser les pertes humaines lors de la contre-offensive.
Le meilleur moyen serait "de bombarder aussi précisément que possible les positions russes afin d’éliminer les troupes dans les tranchées", estime Sim Tack.
Sans hommes derrière les mitrailleuses russes, détruire les lignes de défense n’est plus qu’une question de temps.
Mais pour ce faire, il faut des munitions et des systèmes de guidage suffisamment perfectionnés pour viser juste.
D'où les appels ukrainiens à davantage de munitions et d’armement de la part des pays occidentaux.
source
france24.com