L'Ukraine contre-attaque: qu'est-ce qui a frappé la base aérienne russe de Saki, en Crimée?
Les images ont fait le tour du monde, du moins des réseaux sociaux: le 9 août 2022, la base aérienne russe de Saki, proche du village de Novofedorivka, à quelques encablures
de Sébastopol, dans la Crimée occupée, était frappée de gigantesques explosions.
Le coup, s'il s'agit bien d'un coup et non d'un accident, est plus que notable: outre la frayeur qu'il a causée aux vacanciers russes bronzant sur les plages du coin,
la base était loin d'être vide.
Des images satellites, prises quelque temps avant les détonations, laissent en effet voir au sol «douze Su-24, dix Su-30 SM, un Il-76 et probablement d'autres aéronefs»,
relève l'observateur Rob Lee sur Twitter.
La responsabilité de l'incident n'est pas encore établie. Un brin plaisantin, le ministère ukrainien de la Défense n'a pas confirmé que ses armées avaient un quelconque lien
avec ces explosions et a conseillé aux Russes d'arrêter de fumer près des dépôts de munition.
Se confiant au New York Times, un officiel ukrainien, dont le quotidien américain ne donne ni le nom ni le rang, a pourtant été beaucoup plus clair, revendiquant
cette attaque d'une base dont les avions ont parfois, dans le passé, été chatouiller les forces l'OTAN présentes en mer Noire.
«C'était une base depuis laquelle des aéronefs décollaient régulièrement pour mener des attaques sur nos forces du théâtre [d'opérations] Sud», a-t-il expliqué,
faisant référence au front sur lequel l'Ukraine semble s'activer pour mener une intense contre-attaque.
Le pont Antonovsky, stratégique pour la Russie dans sa tentative de conserver le contrôle de Kherson, a par ailleurs été visé par plusieurs frappes ces dernières semaines
et a été partiellement détruit.
Moscou, en écho aux moqueries ukrainiennes, affirme de son côté que les explosions provoquées sur la base de Saki sont accidentelles et précise que personne n'a été blessé
et qu'aucun appareil n'a été endommagé.
Ce qui semble faux, cependant: des ambulances ont été aperçues se précipitant en masse vers la base aérienne et, surtout, de premières images –il est cependant nécessaire
de les comparer avec d'autres prises de vues effectuées depuis l'espace– semblent montrer des aéronefs en plutôt (très) mauvais état.
Une histoire de portée
Depuis l'attaque (ou l'accident), les analystes et commentateurs s'agitent autour d'une question importante: la base de Saki étant située à près de 200 kilomètres
du front ukrainien, quel type d'arme est-il capable de frapper si profondément un territoire contrôlé par les Russes?
Comme le notent nombre d'entre eux, rien n'indique encore qu'il ne s'agisse pas d'un acte de sabotage, qui pourrait alors venir des forces de résistance ukrainiennes
en territoires occupés, d'un coup spectaculaire de l'unité Shaman, spécialisée dans ce type d'attaque, ou d'une frappe menée grâce à des drones,
ce qui ne serait pas une première.
The War Zone note que les explosions ne peuvent en tout cas être l'œuvre de l'artillerie classique fournie par l'Occident à l'Ukraine (M777 ou M109 américains, Caesars français, etc.).
Bien que des obus de longue portée aient été fournis à Kiev, ils ne sont pas en capacité d'atteindre la Crimée s'ils sont lancés depuis la ligne de front.
Et c'est aussi le cas des missiles ukrainiens Tochka-U.
Quant aux fameux «High Mobility Artillery Rocket Systems» (Himars), les lance-missiles M142 ou M270 envoyés respectivement par les États-Unis et la Grande-Bretagne,
ils n'auraient pas non plus tirer les munitions jusqu'ici officiellement fournies à 200 kilomètres du front.
Seuls les «Army Tactical Missile System» (ATACMS), dont la portée des plus musclés et des plus récents peut atteindre 300 kilomètres, auraient pu être atteindre cet objectif
en étant utilisés avec des M142 ou M270. Mais redoutant des frappes en territoire russe et le risque d'une escalade du conflit, les États-Unis n'en ont a priori jamais
officiellement fourni à l'Ukraine –nul ne sait en revanche si quelques missiles n'ont pas été passés sous le manteau.
D'autres théories sont avancées par The War Zone:
une attaque furtive aurait ainsi pu être menée depuis la mer Noire grâce à un navire déguisé, mais capable de tirer un missile Harpoon avancé (dont l'Ukraine ne dispose
peut-être pas), ou un autre de type Neptune, déjà responsable de la fameuse attaque sur le Moskva en avril.
Une autre possibilité est celle de l'utilisation de missiles balistiques ou à longue portée développés par Ukraine. L'officiel de Kiev sus-cité, interrogé par le New York Times,
a refusé de dire quelle arme, si c'en est une, a frappé la base de Saki. Il a cependant expliqué qu'il s'agissait d'un «dispositif de facture exclusivement ukrainienne».
Un système qui, explique The War Zone dans son article consacré à la question, pourrait être celui sur lequel Kiev planche depuis des années,
et auquel ont été donné, au fil des années, les noms de Sapsan, Grom, Grim, Grim-2 et Hrim-2. Lance-missile autotracté, ses projectiles auraient, expliquent des rapports passés,
une portée de 280 kilomètres –possiblement bien plus.
La théorie semble aussi fumeuse que la base, mais quelle que soit la méthode utilisée, s'il ne s'agit pas d'un accident, l'attaque sur la base de Saki est un signe que l'Ukraine
est loin d'avoir baissé les bras face à l'invasion russe.
Non seulement elle continue à se défendre bec et ongles, notamment dans le Donbass, mais elle semble également sortir des griffes de plus en plus puissantes
pour montrer sa volonté de reprendre les terres qui sont les siennes, notamment la Crimée.
source
korii.slate.fr