Dans le village de Katsuyama (maintenant intégré à la ville de Nago) à l’intérieur des terres, l’armée impériale a été massacrée ou s’est retirée.
La zone est aux mains des seuls Américains. Et certains soldats vont se conduire en bourreaux.
Trois hommes, les premières classes John M. Smith, James D. Robinson et Isaac Stokes, tous les trois âgés de 19 ans se rendent dans le petit village.
Là, ils terrorisent les habitants vaincus et affaiblis, et violent plusieurs femmes. Ils molestent parfois les hommes pour que ceux-ci livrent leurs épouses où leurs filles,
qu’ils violentent ensuite un peu à l’écart du bourg. Ils reviennent chaque week-end plusieurs semaines consécutives, parfois même sans arme, terrorisant les villageois.
Jusqu’au jour où les trois hommes disparaissent, sans laisser de traces. On ne les voit plus à Katsuyama, et ils manquent à l’appel dans leur caserne.
L’armée ouvrira une procédure administrative pour les déclarer déserteurs.
Un an plus tard, alors que le Japon est maintenant sous occupation américaine, ils sont officiellement déclarés « portés disparus » (« missing in action »).
Pendant 50 ans, l’enquête n’avance pas, si tant est qu’elle ait été réellement menée pour retrouver les trois jeunes hommes pris dans le tumulte de l’Histoire.
Pas sûr en effet que l’administration ait bataillé ferme pour faire la lumière sur le sort de trois éléments dans le carnage d’Okinawa, et où les « missing in action » ne manquent pas. Mais, à Katsuyama, on sait ce qu’il est arrivé aux trois militaires. Tout le monde le sait. Mais personne n’a rien dit.
Ce n’est qu’en 1997, un demi-siècle après les faits, qu’un villageois se décide à parler. Un certain Kijun Kishimoto, 84 ans, visiblement pris de remords, confie la vérité en racontant
à un guide nippon qui s’est donné pour mission de faire la lumière sur le destin des disparus de la bataille d’Okinawa, aussi bien les Japonais que les Américains.
Non loin du village se trouve une grotte, dans la montagne à l’écart du bourg. A l’intérieur, les cadavres des trois soldats américains reposent depuis 52 ans.
Et la vérité : les trois hommes ont été massacrés par les villageois qui se sont révoltés contre ceux qui violaient leurs femmes.
Tout le village, ou presque, savait. Et malgré les enquêtes, malgré l’occupation américaine omniprésente à Okinawa après la fin du conflit, personne n’a jamais rien dit
du guet-apens meurtrier.
La presse japonaise dans un premier temps, puis le New York Times ensuite, rendront public cette information et enquêteront sur place pour faire la lumière sur les faits,
dont la lecture est glaçante. Le jour de leur mort, les trois G.I.’s venaient une fois de plus au village, sans arme, sûrs de la terreur qu’ils inspiraient.
Mais ce jour-là avant d’arriver à Katsuyama, les trois violeurs vont tomber dans un piège. Deux Japonais cachés dans la jungle ouvrent le feu sur les trois cibles
pour les immobiliser. Les tireurs sont deux soldats de l’armée impériale qui ont échappé à la débâcle et qui sont venus prêter main forte aux villageois.
Pris au piège et blessés par les tirs, les trois Américains voient alors fondre sur eux une douzaine de villageois qui les lynchent sur place.
Les cadavres sont ensuite cachés dans la grotte. Ceux qui ne travaillent pas dans le village et qui regagnent le soir leur maison (dont Kijun Kishimoto,
à l’époque un professeur trentenaire) sont mis au courant et sommés de garder le secret. Ils le garderont.
Et celui qui trahira finalement le serment, dévoilant enfin la vérité ne sera d’ailleurs même pas l’un des participants du massacre des trois hommes,
qui seront formellement identifiés par leurs ossements après la découverte macabre.
La présence américaine à Okinawa, soit la moitié des quelque 50 000 soldats présents dans le pays, génère constamment des tensions, avec des affaires de viol
ou de violences suspectées d’être traitées avec complaisance. Dans ce contexte, la révélation de l’affaire crée un malaise.
D’un côté, elle met en évidence la question des viols massifs subis par les civils d’Okinawa, dont un tiers a été massacré pendant la bataille.
D’autre part, elle ne fait reposer la vérité « officielle » que sur les témoignages qui ont permis de découvrir les dépouilles des trois hommes.
Mais est-on sûr que les trois soldats étaient bel et bien les bourreaux de Katsuyama ?
Un demi-siècle après les faits, aucune enquête n’a été menée en profondeur pour savoir si la cause de la mort de ces hommes était bien la vengeance.
« Je n’y crois absolument pas », déclarait à l’Associated Press en 2000 Marguerite Smith Headen, la veuve d’un des trois soldats, qu’elle avait épousé six mois avant son départ
au front. « Il n’était pas ce genre de personne », assurait-elle, décrivant un homme qui prenait soin de sa famille et qui ne ressemblait en rien au criminel de guerre
que l’histoire officielle décrit.
Au Japon, l’écho donné à l’histoire a fini par gêner. Car il est impossible de savoir précisément ce qu’il s’est passé le jour de la mort des trois militaires.
Plus aucun témoin direct des faits n’était encore en vie au moment de la découverte, et même les autorités locales ont fini par essayer d’arrondir les angles
sur cette sordide histoire. Un ancien maire de Nago, Yutoku Toguchi, déclarera même à la presse une phrase pour le moins ambiguë:
« Les hommes qui ont été tués sont des victimes. Comme l’étaient ceux qui les ont tués. »
L’armée américaine a mis fin aux investigations lorsque les trois hommes ont été identifiés avec certitude.
Les soldats ont été rapatriés aux États-Unis et enterrés avec les honneurs militaires. L’enquête est close. On ne saura jamais ce qu’il s’est passé ce jour d’été 1945 à Katsuyama.
source
asialyst.com