Des familles divisées entre respect de la monarchie et volonté de moderniser le royaume
"Mon père m'a appris que critiquer notre roi était un péché. Un tabou."
Cette remarque est commune, en Thaïlande, à de nombreux manifestants engagés dans le mouvement pro-démocratie qui touche pour l'heure surtout la jeunesse étudiante
des grandes villes. Seulement voilà: désormais, ces jeunes défient ouvertement les avertissements de leurs parents.
Comment ses familles divisées vivent la tourmente actuelle ? Enquête.
Leurs parents sont souvent issus de la classe moyenne supérieure. Ils ont beaucoup voyagé. Leurs enfants ont parfois quitté le domicile familial pour co-louer une chambre proche
de l'université où ils étudient. Et chaque fois que la famille se retrouve, ils évitent de parler d'un sujet : la monarchie.
"Si nous en parlons, nous nous disputerons et cela gâchera notre journée" dit l'un d'entre eux, dont le père est...colonel de police.
Le roi est intouchable
"Une fois, nous nous sommes disputés dans notre voiture après avoir critiqué le roi. Pour mon père, le roi est intouchable. J'ai demandé pourquoi.
Il m'a dit que je suis trop jeune pour comprendre. Il s'est mis très en colère, puis il s'est tu et n'a pas voulu me parler."
Des désaccords comme celui-ci sur le rôle d'une institution au statut sacro-saint en Thaïlande se jouent dans les foyers - dans les villes et dans les campagnes
- dans tout le pays.
Lorsqu'une étudiante de la ville de Chiang Mai, dans le nord du pays, a révélé sur Facebook en septembre que son père voulait la poursuivre en justice
à cause de ses opinions anti-monarchiques, il a répondu en postant qu'elle n'était plus autorisée à utiliser son nom de famille.
Le rôle de l'internet et des réseaux sociaux
"Dans la société thaïlandaise, il y a des groupes de personnes intransigeantes qui sont anti-royalistes. L'internet et les médias sociaux ne cessent également de diffuser
des informations trompeuses et des fausses nouvelles. Les jeunes absorbent rapidement sans filtrer" affirme un père, outré du comportement de sa fille de 21 ans,
admiratrice de Panusaya, l'une des égéries de la contestation, aujourd'hui en détention.
Dès leur naissance, les thaïlandais apprennent à vénérer et à aimer leur roi, mais aussi à craindre les conséquences d'une dénonciation.
Le pays du sourire est l'un des rares pays à disposer d'une loi sur la lèse majesté. Cela signifie que critiquer le roi, la reine ou l'héritier du trône est illégal
- et quiconque le fait peut être emprisonné jusqu'à 15 ans.
Transparence de la monarchie
Les manifestants exigent des restrictions sur les pouvoirs et les finances presque illimités du roi. Ces demandes peuvent sembler anodines aux yeux des habitants
d'autres régions du monde, mais en Thaïlande, personne n'a jamais publiquement contesté la monarchie dans l'histoire moderne.
Ce choc des générations aurait été impensable il y a encore quelques années. Mais le couronnement du nouveau monarque, le roi Maha Vajiralongkorn - Rama X
pour son nom dynastique - a tout changé.
En revanche, le défunt roi Rama IX était considéré par beaucoup comme semi-divin.
"Mon père est aveuglé par son amour pour la monarchie. Lui parler, c'est comme parler à un mur. Il ne veut pas écouter. Pour l'instant, la seule chose que je veux de mon père,
c'est qu'il soit ouvert d'esprit sur ce sujet, comme il l'est normalement pour toute autre question." explique un autre étudiant.
Ses parents, comme dans de nombreuses familles, pensent que les protestations en cours finiront par échouer.
"Ma mère pense que la réforme de la monarchie est quelque chose d’hors de portée et que les manifestants ne peuvent pas y arriver"
Leurs points de vue opposés sur le roi reflète un fossé générationnel grandissant, emblématique de la société thaïlandaise.
source
gavroche-thailande